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Ce que changerait la fin de la gouvernance américaine d’Internet


La Rédaction
Jeudi 21 Mai 2015



« Internet est américain » affirmait Barack Obama en février dernier. Il semblerait pourtant que le régulateur mondial d’Internet, l’Icann, supervisé par le gouvernement américain depuis sa création, soit en voie d’émancipation. C’est ce qu’a annoncé le président de l’organe de régulation. Si la nouvelle est passée relativement inaperçue, elle pourrait être une étape importante dans la gouvernance d’Internet. Alors les Etats-Unis vont-ils vraiment renoncer à une partie de leur influence 2.0 ? La gouvernance internationale d’Internet n’est pas encore acquise.



Une concession stratégique ?

Crédit: Wikipédia
Crédit: Wikipédia
Selon les propose de Fadi Chéhadé, le président de l’Icann, « tous les éléments nécessaires à cette émancipation sont désormais réunis ». D'ici la fin de l'année, la structure basée en Californie pourrait ainsi s'affranchir de la tutelle du secrétariat d'Etat américain au Commerce pour devenir une organisation internationale basée à Genève.  Cette annonce va dans le sens de ce que le gouvernement américain avait proposé en mars 2014 : le contrat avec l’organe de régulation ne serait pas renouvelé si un nouveau dispositif de surveillance était mis en place. Ce dernier doit être en mesure de maintenir la fiabilité technique d’Internet et de représenter tous les intérêts. Ainsi, plusieurs groupes de travail planchent afin de trouver les moyens de faire de l’Icann, une organisation internationale répondant à ces conditions. Une position que les défenseurs de la neutralité du net approuvent face à la dépendance actuelle de l’Icann envers l'Etat américain et selon eux, incompatible avec sa mission.

Au total, pas moins de 150 pays dont la Chine, le Brésil et la France, ont affiché leur soutien à ce projet qui a pour objectif de « mieux équilibrer les pouvoirs entre tous les acteurs d'Internet » explique Mathieu Weill, à la tête d’un des groupes de travail. Car avec l’évolution des technologies, le stockage et le traitement des données se sont systématisés pour devenir un outil de surveillance, bien loin de la promesse initiale de liberté. La domination américaine avait d’ailleurs été contestée lors de l’Agenda du Tunis en 2005, puis lors de la conférence organisée à Dubaï par l’Union Internationale des Télécoms en 2012.  Et avec l’affaire Snowden, le gouvernement américain a largement perdu son autorité morale dans la gestion d’Internet. Nul doute que cette crise de confiance a joué dans l’émancipation de l’Icann. « En réalité, les Etats-Unis n'ont plus le choix. Leur position privilégiée dans la gouvernance technique du réseau Internet fait l'objet d'une pression diplomatique intense qu'ils ont de plus en plus de mal à repousser, surtout avec la montée en puissance des géants chinois et russes» atteste Mathieu Weil par ailleurs, directeur général de l'Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNI).

 

Les enjeux de la gouvernance d’Internet

Car la gouvernance d’Internet est devenue un enjeu des relations internationales. La dépendance croissante de nos sociétés à Internet est devenue un facteur de vulnérabilité et le réseau  un des nouveaux théâtres où les Etats, les entreprises et les individus peuvent se livrer à la déstabilisation, au sabotage ou à l’espionnage. Les Etats intègrent de plus en plus la cyberstratégie à leur politique étrangère et la cyberdéfense au sein de leurs problématiques sécuritaires. La gouvernance d’Internet est donc intimement liée au politique.

Par ailleurs, les opérateurs privés et la société civile jouent un rôle majeur et soulèvent les défis posées en matière de surveillance de la vie privée. Aussi, lors de la conférence NETmundial de São Paulo ont été consacrés des principes et valeurs fondamentales sur la gouvernance d’Internet. De plus, la Commission mondiale sur la gouvernance d'Internet a proposé « un nouveau pacte social » entre les citoyens, leurs représentants élus, les forces publiques et de renseignement, les entreprises, les organismes de la société civile, les programmeurs et les développeurs. « Parmi ces dispositions figurent la reconnaissance de la vie privée et la protection des données personnelles comme droit humain fondamental, et un appel à la création de règlements clairs, précis et transparents, pour fixer des limites à la surveillance du gouvernement et à l'utilisation des données des consommateurs par les entreprises » rappelle Marietje Schaake, membre du Parlement européen, fondatrice de l'Intergroupe pour l'Agenda numérique pour l'Europe et membre de la Commission mondiale sur la gouvernance d'Internet.Des réponses seront sûrement apportées en novembre, où la première mouture des principes de gouvernance seront dévoilés.

Reste que malgré les bonnes volontés, l’idée d’une gouvernance globale semble encore prématurée. L'Icann ne devrait voir le jour au mieux en 2016, voire en 2017. De plus, les nouveaux statuts de l’Icann seront soumis à un accord de principe des Etats-Unis qui vont entrer en campagne présidentielle. Doit-on s’attendre à un risque de politisation du dossier ? Rien n’est moins sûr, car certains membres du Congrès sont réticents à voir l’influence américaine diminuer. Or, cette éventuelle perte d’influence doit être relativisée dans la mesure où plus de la moitié des grandes entreprises du web sont américaines. L’Icann, pour l’heure, ne régule que les ressources techniques et ne détermine pas la puissance d’un Etat sur Internet.
 

Quid de l’Europe ?

Dans ce contexte, peut-on s’attendre à ce que l’Europe joue un rôle dans l’avenir de la gouvernance d’Internet ? L’UE se pose comme un médiateur garantissant un Internet respectueux des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques. Elle a donc tout à fait sa place dans les actuels débats, comme le détaille le rapport de la mission commune d’information du Sénat, intitulé « l’Europe au secours d’Internet : démocratiser la gouvernance de l’Internet en s’appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne ». Le rapport fait état d’une « opportunité historique (qui) s'offre aujourd'hui à l'Europe ». Louis Pouzin, co-inventeur d’Internet, déclare quant à lui, qu’un « Internet européen, souverain est possible » si les Etats faisaient le choix de gérer eux-mêmes leurs domaines de premier niveau de noms géographiques (.fr pour la France par exemple). Reste donc à savoir quel tournant Internet va prendre.
 










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