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Et si on changeait de regard sur l’industrie ?


La Rédaction
Vendredi 24 Avril 2015



Si la désindustrialisation en France n’est pas qu’un mauvais rêve, l’industrie n’est pourtant pas si moribonde que l’on peut le croire. A bien y regarder, les paris peuvent rester gagnants, et l’innovation, tout comme les techniques de pointe françaises ont encore de beaux jours devant elles.



(Creative Commons)
(Creative Commons)
Un état des lieux pas si calamiteux
 
Morte, l’industrie française ? Bien sûr, la France a vu son industrie décliner, et ce de façon très rapide au cours des trente dernières années. Cependant, l’Hexagone n’a pas été seul à subir ce changement. La désindustrialisation de la France n’est pas un phénomène isolé, bien au contraire : c’est un schéma global qui n’a ménagé personne, pas même les pays émergents, pourtant industrialisés très tardivement. Et si la part de la production industrielle dans le PIB de la France est passée de 35 % en 1970 à un peu moins de 20 % ces dernières années(1), il existe aussi des chiffres nettement plus prometteurs. Ainsi, en 2011, l’investissement dans le secteur industriel a fait un bond de 10 % (2), tandis qu’il faut rappeler que l’industrie en France, ce sont 240 000 entreprises – dont 90 % sont des PME – qui emploient 3,5 millions de personnes(3). Par ailleurs, l’industrie en France est toujours génératrice d’emploi : les cent plus grosses usines françaises de 2014, qui comptent au total 295 000 salariés, en ont créé 10 000 à elles seules(4). Et même si leur importance est telle qu’elles représentent 20 % de l’emploi total du secteur sur le territoire(5), l’industrie en France n’est pas qu’une affaire de titans.
 
Des paris gagnants
 
C’est l’histoire, malheureusement assez commune, d’une entreprise française, filiale d’une société états-unienne spécialisée dans la fabrication de marteaux-piqueurs et compresseurs d’air, qui ferme du jour au lendemain pour cause de décision de délocalisation par la maison-mère. Quelques salariés, à commencer par Christelle Linossier, décident de prendre les choses en main. Entrée comme Experte comptable, elle est directrice générale lorsqu’elle apprend la nouvelle. Il ne faudra que quelques semaines pour que six des anciens salariés se mobilisent pour rebondir : « Nous devions réagir et étions persuadés que ce savoir-faire industriel avait sa place sur le sol français. Très vite, nous avons partagé une ambition commune et sommes partis dans un pari fou : créer notre propre entreprise, à 6 » confie Christelle Linossier. Mac 3 voit le jour en 2011 dans la Loire, une année après la fermeture de la filiale initiale. Christelle Linossier et ses associés réalisent vite que la taille de Mac 3 joue en leur faveur : plus petite, leur société est plus proche de ses clients, elle comprend aussi mieux leurs attentes et est à même de leur proposer des innovations plus adaptées à leurs besoins. « Nous arrivons (…) à rivaliser avec les grands acteurs de notre marché (qui fabriquent la plupart du temps dans des pays dits « à bas coûts ») en jouant la complémentarité avec des entreprises de la région. Nous développons ainsi une logistique beaucoup plus simple et donc plus efficace économiquement », analyse-t-elle. L’entreprise emploie aujourd’hui 16 salariés, son chiffre d’affaires (2 millions en 2013) a été multiplié par quatre en un peu plus de deux ans et elle exporte à l’international(6).
 
Des exemples de success stories à la française, il en existe bien d’autres, comme Oberthur Fiduciaire. Reprise en 1984, à l’heure où la société dépose le bilan, l’entreprise est alors un imprimeur historique. Reprise pour un Franc symbolique par la famille Savare, elle connait une seconde jeunesse en diversifiant son activité initiale : Oberthur sera désormais un imprimeur de documents sécurisés et de billets de banque. Et le pari fonctionne. En mettant en place un plan de R&D audacieux, où chaque activité se voit attribuer un pôle recherche, l’entreprise prend rapidement de l’ampleur en matière d’innovation technologique. Le savoir-faire français de pointe est à l’œuvre et la société, renommée Oberthur Fiduciaire, dessine et produit désormais les billets de banque de 70 pays(7). Elle figure parmi les trois premiers acteurs privés d’impression de haute sécurité dans le monde. Thomas Savare, directeur général et seconde génération aux commandes, rappelle : « L’impression fiduciaire et de sécurité est une activité industrielle à très fort contenu technologique. (…) Nous faisons le même métier qu’autrefois (…), mais en recourant sans cesse à de nouveaux procédés, à de nouvelles technologies, le tout dans le but de maintenir un niveau irréprochable de qualité. »(8)
 
L’innovation toujours vivace
 
Graal de nombreux chercheurs à travers le monde, le plastique biodégradable était surtout le rêve des défenseurs de l’environnement. C’est un ingénieur breton qui, après dix ans de recherches, en trouve la recette, en 2011. Rémy Lucas, pour qui les algues sont aussi une histoire de famille, est le premier au monde à industrialiser son plastique fabriqué à base d’algues. Particularité de premier ordre : ce plastique se décompose en quelques heures, quand celui à base de pétrole nécessite plusieurs siècles...(9) L’usine d’Algopack, c’est son nom, est située à Saint-Malo et utilise uniquement les ressources en algues de la région, pour les transformer en granules de bioplastique. Et même si cet algoplastique est encore 10 % à 20 % plus onéreux que les plastiques traditionnels, le souci de leur responsabilité sociale augmente la demande des industries usant de plastique pour la fabrication de leurs produits. Panneaux publicitaires, tablettes, jouets… la capacité de production de l’usine d’Algopack est estimée à 2 500 tonnes de granules par an. Mais Rémy Lucas affirme : « Nous évaluons la demande de bioplastiques à 50.000 tonnes par an » (10). De quoi être optimiste sur les capacités d’emplois à créer…
 
En matière d’innovation, c’est assurément dans les technologies médicales que la France excelle. Organes artificiels, implants novateurs, imagerie médicale… l’Hexagone regorge d’entreprises inventant sans cesse de nouvelles technologies. Carmat et ses cœurs artificiels, de création 100 % française, en est probablement le meilleur exemple récent. Le professeur Alain Carpentier, à l’origine du projet, n’a eu d’autre choix, dans les années 1970, que de confier le développement de ses valves cardiaques à des industriels américains, faute de trouver des investisseurs en France. Mais pour les cœurs artificiels, Alain Carpentier s’est battu jusqu’à obtenir gain de cause(11). Après une seconde transplantation réussie en 2014, Alain Carpentier assure : « Nous passons (…) au stade du transfert à l'industrie, au grand jour. Il ne s'agit plus de mettre au point un simple prototype, mais de fabriquer une prothèse reproductible chaque fois de la même manière. » (12) Là encore, c’est une promesse d’emploi à venir, comme pour tant d’autres succès dans l’industrie française.
 
 
 (1) Désindustrialisation de la France : où en est-on ?, La Tribune, le 07 juillet 2014, http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140707trib000838796/desindustrialisation-de-la-france-ou-en-est-on.html
(2) Bouquet d’initiatives pour rapprocher les Français de l’Industrie, L’Express, le 16 mars 2012, http://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/recrutement/bouquet-d-initiatives-pour-rapprocher-les-francais-de-l-industrie_1518066.html
(3) Le Train de la Nouvelle France industrielle lance la semaine de l’Industrie, L’Express, 07 avril 2014, http://lentreprise.lexpress.fr/le-train-de-la-nouvelle-france-industrielle-lance-la-semaine-de-l-industrie_1529261.html
(4) Exclusif : le classement des 100 premières usines de France, Usine nouvelle, le 8 juillet 2014, http://www.usinenouvelle.com/article/exclusif-le-classement-des-100-premieres-usines-de-france.N272507?preview=11
(5) Cinq leçons sur les 100 premières usines de France, Usine nouvelle, le 8 juillet 2014, http://www.usinenouvelle.com/article/cinq-lecons-sur-les-100-premieres-usines-de-france.N273116
(6) Mac 3 : une femme dans un monde de marteaux… piqueurs, Les Echos, le 11 décembre 2013, http://business.lesechos.fr/entrepreneurs/success-stories/mac-3-une-femme-dans-un-monde-de-marteaux-piqueurs-58200.php
(7) Oberthur Fiduciaire : après le Wei-Ji, Le Journal de l’Economie, le 16 octobre 2013, http://www.journaldeleconomie.fr/Oberthur-Fiduciaire-apres-le-Wei-Ji_a147.html
(8) RDV avec Thomas Savare, CEO d’Oberthur Fiduciaire, Les Carnets du Business, le 4 décembre 2012, http://www.carnetsdubusiness.com/RDV-avec-Thomas-Savare-CEO-d-Oberthur-Fiduciaire_a516.html
(9) Algopack : le plastique 100 % biodégradable issu d’algues, Courant Positif, le 15 mai 2014, http://www.courantpositif.fr/algopack-le-plastique-100-biodegradable-issu-des-algues/
(10) Algopack invente le matériau plastique sans pétrole à base d’algues, Les Echos, le 28 mai 2013, http://www.lesechos.fr/28/05/2013/LesEchos/21444-116-ECH_algopack-invente-le-materiau-plastique-sans-petrole-a-base-d-algues.htm
(11) L’aventure Carmat, fabrique d’un cœur français de A à Z, Le Figaro, le 23 décembre 2013, http://www.lefigaro.fr/societes/2013/12/22/20005-20131222ARTFIG00165-l-aventure-carmat-fabrique-d-un-coeur-francais-de-a-a-z.php
(12) Pr Carpentier : « Après tout, le cœur n’est qu’une grosse pompe », L’Express, le 28 octobre 2008, http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante




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