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Derrière le sceau de l’huissier : une plongée intimiste dans un métier miroir de notre époque


La Rédaction
Mardi 4 Juillet 2023



Plongez dans les coulisses économiques et sociétales de notre temps à travers le regard aiguisé d'un professionnel de la justice. François Samain, auteur de "Vie et confessions d'un huissier de justice" et ayant exercé ce métier pendant 40 ans, nous invite à explorer les facettes méconnues de sa profession, miroir de l'évolution de notre société. À travers cet échange, découvrez comment les décisions prises dans les tribunaux reflètent les défis majeurs de notre époque, et comment elles peuvent impacter des individus, des familles, des entreprises. C'est une occasion rare d'entrevoir la justice sous un angle nouveau, celui de l'huissier de justice.



Quels ont été les changements majeurs que vous avez observés dans la pratique de votre métier d’huissier de justice au cours des quatre dernières décennies et comment reflètent-ils l’évolution de notre société ?

Je débuterai par le dernier changement en date. L’huissier de justice en tant que tel n’existe plus et a laissé la place à un nouveau professionnel, le commissaire de justice. Derrière ce changement de façade, de quoi s’agit-il ? C’est la fusion de deux professions du droit de l’exécution forcée, à savoir l’huissier de justice et le commissaire-priseur judiciaire. Avant cette réforme, lorsqu’un commissaire-priseur judiciaire était installé dans une commune, c’est à lui que revenait la tâche de vendre aux enchères les biens meubles corporels préalablement saisis par l’huissier de justice (les meubles meublants, les véhicules, le matériel industriel ou agricole, etc.) En l’absence de commissaire-priseur judiciaire, cette fonction incombait à l’huissier de justice. Dorénavant, les deux professions sont fusionnées et cette fusion a donné naissance au commissaire de justice.

Mais, plus profondément, l’évolution essentielle de ma profession au cours des quatre dernières décennies a été le rôle croissant de l’informatique et de la dématérialisation. À mes débuts, l’intégralité des tâches était réalisée manuellement : le courrier, les actes de procédure, la comptabilité. De nos jours, l’informatisation a totalement bouleversé nos méthodes de travail comme celles de toutes les professions de service. C’est un progrès technique considérable qui améliore la qualité de nos services. Mais attention au revers : ce progrès ne doit pas faire oublier que nous travaillons sur la pâte humaine, ce que la dématérialisation à outrance a tendance à provoquer.

En considérant l’actualité récente, quelles réformes ou évolutions législatives impacteraient significativement votre métier et la manière dont la justice est rendue ?

La justice civile, comme la justice pénale, est totalement dépassée par le volume croissant des affaires qui lui est soumis. Or on sait que certaines matières ne méritent pas d’encombrer les tribunaux. Le droit de la consommation, les créances bancaires ou des compagnies d’assurances, les créances contractuelles des entreprises, des commerçants ou des artisans constituent une masse de contentieux ne présentant que peu de difficultés juridiques justifiant l’intervention du juge et de l’ensemble de l’institution judiciaire. Une procédure simplifiée de recouvrement de créances pourrait consister à confier au commissaire de justice le rôle de mettre en demeure le débiteur défaillant, puis, faute de paiement, de délivrer à son encontre un titre exécutoire, de rendre ce titre définitif passé un délai éventuel de recours d’un mois devant le juge et, enfin, de mettre à exécution ce titre. La masse de ce contentieux ainsi traité, viendrait libérer l’institution judiciaire de tâches indues, éviterait au citoyen contribuable de supporter un cout inutile généré par le fonctionnement de l’institution judiciaire et, surtout, fluidifierait le recouvrement des créances contractuelles ou statutaires des particuliers, des entreprises et du secteur financier. Je rappelle que la charge des impayés provoque un nombre important de défaillances d’entreprises. Au surplus, cette réforme ne couterait pas le moindre centime au contribuable, au contraire.

Comment le rôle de l’huissier de justice pourrait-il être repensé pour mieux prendre en compte les défis sociétaux et économiques auxquels sont confrontés ceux que vous décrivez comme « les oubliés qui souffrent en silence » ?

De mon point de vue, l’institution judiciaire repose sur trois éléments fondamentaux :
  • Le juge qui applique la loi et tranche les litiges
  • L’avocat qui conseille et représente ou assiste les parties devant le juge
  • Le commissaire de justice qui officialise les principales étapes de la procédure et exécute les décisions du juge.
C’est dans le cadre de ce triptyque que toute réforme doit nécessairement s’insérer sous peine de s’écarter de notre tradition judiciaire et de négliger les droits fondamentaux de nos compatriotes, en particulier, les plus vulnérables.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui envisage de poursuivre une carrière en tant qu’huissier de justice aujourd’hui, compte tenu de vos expériences et de l’évolution du métier ?

La modération et le sens de la nuance. Et surtout, se garder de tout manichéisme qui pourrait conduire à penser que l’on est au service d’un bon contre un méchant. Notre profession n’est au service que de la justice.











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