SenseMaking
 



Iran - Israël, la guerre improbable


Daniel Monforte
Vendredi 26 Avril 2024



Tout ce mois d’avril, un conflit larvé depuis des décennies est monté en épingle : une guerre serait imminente entre l’Iran et Israël.



Iran - Israël, la guerre improbable
Dans le contexte d’une guerre impitoyable entre l’État juif et le Hamas depuis six mois, Israël aurait frappé le 1er de ce mois une annexe de l’ambassade iranienne à Damas. Sept militaires tués dont deux officiers supérieurs. Notons au passage que cette frappe est une violation de l’espace aérien syrien, censé être souverain, et qu’elle n’est pas un acte isolé. Les frappes de la coalition atlantique atteignent régulièrement ce pays en violation du Droit international. Fin de la parenthèse.
 
En représailles de cette frappe du 1er avril, 350 drones iraniens armés sont lancés sur Israël dans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 avril, suivis de missiles. La plupart est interceptée, dit-on. Nous apprendrons plus tard que quelques dégâts sont à déplorer quand même, humains comme matériels.
 Le lendemain 14 avril, Mohammed Hossein Baqeri, le plus haut gradé de l’armée iranienne, chef d’état major des armées et membre du Conseil suprême de la sécurité nationale, s’exprime. Une nouvelle doctrine s’impose pour la diplomatie iranienne, celle de la « nouvelle équation. » Toute attaque d’Israël aura des représailles, non plus par le biais de proxies, mais directement depuis l’Iran.
Jeudi 18 avril le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, considère que le Moyen-Orient est « au bord du précipice ». L’exagération est manifeste, mais comme pour lui donner raison, le lendemain 19 avril une riposte israélienne frappe Ispahan, près de l’aéroport civil. L’Iran toutefois nie que les explosions proviennent de l’attaque d’un pays étranger. D’évidence, on cherche à minimiser les agressions subies alors que l’attaque israélienne servait d’avertissement. La riposte était mesurée, au sens où il était possible de faire beaucoup plus mal. On s’en est bien gardé ; cette frappe était un simple avertissement. C’était montrer que le bouclier aérien de l’Iran est une passoire.
Par ailleurs, nier l’attaque permettait à Téhéran de ne pas avoir à riposter à nouveau puisque le ministre des Affaires étrangères avait prévenu qu’aucune représaille israélienne ne serait tolérée.
Manifestement, en fait d’être « au bord du précipice », les deux acteurs principaux du conflit n’ont de cesse, depuis l’attaque imputée à Israël en début de mois, d’œuvrer à la désescalade.
 
Revenons pour le comprendre, à l’histoire de cette haine entre les deux régimes.
Il est hors de doute que la révolution islamique de 1979, lorsque Khomeini prend le pouvoir, a dans ses tiroirs le projet politique de rayer Israël de la carte. Le funeste dessein est repoussé aux calendes grecques en raison de 8 ans de guerre avec l’Irak. Puis la procrastination est entretenue par la forte tension avec Washington. Les velléités nucléaires de Téhéran sont écrasées dans l’œuf à plusieurs reprises. Chaque fois qu’une installation ressemble à l’ombre du début du commencement de la bombe, un missile fait opportunément place nette.
Ce seront les proxies des Iraniens qui accompliront pour eux les basses besognes. Le Hezbollah libanais, mouvement révolutionnaire chiite, le fera en Israël comme ailleurs. Et en premier lieu au Liban, redevenu bastion occidental depuis 2005. Les Houthis du Yemen ont été un autre proxy. Jusqu’alors le point commun de ces groupes est d’appartenir à la communauté chiite.
La nouveauté est que le Hamas s’entend maintenant avec Téhéran, notamment depuis le 7 octobre 2023. Rappelons que que ce groupe terroriste est fondé par les Frères musulmans en 1987 et quil est donc un groupe révolutionnaire armé sunnite. Factuellement, Téhéran reprend le flambeau d’un soutien que les monarchies arabes sunnites ont relâché. Ce renoncement a été très progressif en réalité. Les pays arabes historiquement les plus en pointe dans la guerre contre Israël, j’ai nommé la Syrie, l’Égypte et la Jordanie, se désengagent dès les années 70. Malgré la résolution de Khartoum, position officielle de la ligue arabe en 1967.
Les pays arabes périphériques, comme le Maroc, le Soudan, les Émirats, commercent avec Israël depuis plus de vingt ans et les accords d’Abraham en 2020 couchaient sur le papier une situation de fait, le renoncement à la guerre par la ligue arabe. L’administration Trump réalisa avec ces accords une avancée notable mais au fond, elle ne faisait que récolter les lauriers d’une évolution dont elle n’était pour rien. Avec ces accords d’Abraham, la résolution de Khartoum de 1967 devenait caduque, et avec elle la règle des trois refus : pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance de l’État d’Israël, pas de négociation avec Israël.
           
Dans ces circonstances de réchauffement des relations israélo-arabes, l’attaque iranienne du 13 avril est un précédent. En premier lieu parce qu’elle est l’opportunité de s’imposer en soutien majeur d’une rébellion islamique fédératrice. Le flambeau d’une révolution rassemblant sunnites et chiites devenant en quelque sorte — si je puis me permettre un emprunt au vocabulaire de la chrétienté — œcuménique. En second lieu parce que Téhéran se déclare légitime à attaquer Israël depuis son propre sol — la fameuse « nouvelle équation ».
 Dans le cadre de la nouvelle guerre froide, Téhéran s’élève donc en relai des monarchies arabes ayant renoncé à abattre Israël. C’est une manière de revendiquer une hégémonie islamique régionale, de contester celle des Saouds, celle des monarques descendants du prophète comme en Jordanie ou au Maroc, ou celle des idéologues révolutionnaires (des frères à l’État islamique, en passant par al-Qaïda,). C’est tenter également d’extraire la révolution islamique de ses récurrentes accointances avec Washington. Et c’est enfin hisser de facto la cause palestinienne du niveau régional au niveau d’un des foyers majeurs du conflit Occident/BRICS. Plus aucune puissance occidentale ne pourra désormais soutenir les Palestiniens sans être suspecte de défendre « l’axe du mal ».
 
Qu’en est-il maintenant du risque réel de guerre entre ces deux puissances ?
Bien qu’elles puissent la souhaiter l’une comme l’autre, ni Téhéran ni Tel Aviv n’ont intérêt à une guerre ouverte.
L’Iran a besoin de préserver ses acquis, besoin de préserver les négociations avec Washington. Assouplir les sanctions dont elle est victime, tenter de récupérer des avoirs bloqués.  Reprendre un jour son programme nucléaire. C’est pourquoi elle a prévenu Washington avant toute attaque. Prévenir les Américains, c’est prévenir Israël. Il s’agissait bien de représailles a minima. Faire le moins de dégâts possible à l’adversaire pour éviter l’escalade.
De plus, si la nation iranienne est très patriote, le traumatisme de la guerre Iran-Irak entretient son pacifisme. Les nombreux vétérans de guerre, souvent mutilés, sont aujourd’hui aux commandes du pays. Les plus anciens d’entre nous se souviendront de l’impact sur tout un peuple des blessés de 14 dans la France des années 50 et 60.
Israël n’y a pas intérêt non plus, car son image est ternie par la guerre à Gaza. Ce second front serait le conflit de trop pour certains de ses alliés. Notamment arabes comme la Jordanie, l’Arabie saoudite. Seul Netanyahou pourrait y avoir personnellement intérêt. Fuite en avant pour repousser l’après de sa gouvernance, son jugement ; avancer sur le projet idéologique sioniste de conquête de toute la Palestine pour un camp absolutiste se sachant en bout de course.
Cette guerre, bien quasymétrique, serait trop coûteuse.
 
Enfin, dernier point rendant peu crédible pareille escalade, si la guerre devait se déclarer, où aurait-elle lieu ? L’absence de frontière commune entre les deux pays rendrait les pays faisant tampon entre les deux, Irak, Jordanie, Syrie et Arabie saoudite, complices d’un tel affrontement.
L’envoi de troupes par mer imposerait le contournement de la péninsule arabique et le passage de la mer rouge. Ce serait passer par des eaux territoriales étrangères, et le très protégé détroit d’Ormuz. L’importance capitale du trafic commercial sur ce point de passage est telle que personne ne le permettrait.
En cas d’escalade, l’hypothèse la plus plausible serait la poursuite de bombardements de plus en plus sophistiqués. Mais en ce cas elle ne durerait que le temps relativement court d’épuiser ces arsenaux.
 
Pour conclure, une guerre entre Israël et l’Iran est impossible tant qu’elle se cantonne à un différend entre ces deux pays. La permettre serait élargir la guerre avec tous les acteurs régionaux cités précédemment.
Ces différentes attaques d’avril sont donc, d’un côté comme de l’autre, non pas les prémisses d’une guerre localisée entre deux puissances régionales, mais des démonstrations de force destinées aux opinions publiques et à un rééquilibrage des forces de dissuasion locales.
C’est la confirmation que la cause palestinienne est désormais l’un des fronts de la guerre Occident contre BRICS. Preuve en est, ce n’est pas un pays arabe qui le 29 décembre dernier à La Haye a saisi la Cour de justice internationale contre Israël. C’est l’Afrique du Sud, membre fondateur des BRICS.
 
Malgré cette analyse relativement rassurante, le plus inquiétant de l’affaire n’est pas là. Le plus inquiétant est la très mauvaise nouvelle du réengagement américain de 95 milliards € sur trois des fronts actuels ou potentiels de cette guerre est-ouest (Palestine, Ukraine et Taïwan).
Le Sénat américain a été relativement unanime dans son vote le 24 avril. Les va-t-en-guerre démocrates ont fini par convaincre le camp républicain. Ce qui ne laisse guère despoir à la paix. Il est difficile d’être optimiste, car même si Trump était réélu en novembre prochain, lAmérique semble décidée à ne pas consentir à son déclassement sans se battre. Au sens propre du terme. Et même un trublion comme Trump ne l’empêcherait pas si sa propre majorité l’y pousse.
 
13 milliards € alloués à Israël pour « reconstruire » le dôme de fer aérien c’est beaucoup d’argent pour une protection aérienne.
Ce réengagement vaut également pour les autres foyers de cette guerre mondiale par proxy. Le soutien humanitaire aux victimes au Soudan est un moyen détourné d’entretenir les affrontements. Je le démontrais dans mon livre « Sapere Aude II », Washington a intérêt à ce que la guerre soudanaise se résolve le plus tard possible.
61 milliards € supplémentaires pour l’Ukraine. C’est une très mauvaise nouvelle, car avec pareille somme médiane, c’est l’assurance d’une issue inchangée, la défaite de Kiev, mais à échéance beaucoup plus lointaine. Donc avec beaucoup plus de dégâts humains. Au passage, ce vote légalise le vol pur et simple d’actifs russes. Ce qui est une entrave manifeste au droit international.
8 milliards € enfin sont consacrés à doter Taïwan d’une force militaire sous-marine pour empêcher Pékin d’exercer son contrôle de l’île chinoise. L’hypothèse d’une guerre à Taïwan fin 2024 ou début 2025, comme je le supposais dans le même livre, se renforce donc.
 
En outre, le vote a confirmé la pression politique au niveau économique. Des mesures protectionnistes fortes sont prises contre TikTok, l’accusant d’espionnage de 170 millions d’Américains. Le réseau social chinois devrait être coupé prochainement de sa maison-mère, pour n’être plus qu’américain. Ce qui est un comble pour un pays qui est le plus grand espion de la planète.

Daniel Monforte est l'auteur de "Comprendre l'imbroglio syrien" paru chez VA Éditions
Iran - Israël, la guerre improbable










Les articles les plus lus


Inscription à la newsletter
Facebook
Twitter
YouTube