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Le souverainisme face à la mondialisation : une nouvelle vision du monde


La Rédaction
Jeudi 8 Juin 2023



Une perspective nouvelle se dessine, où la souveraineté n'est pas un vieux rêve, mais un besoin vital pour des réalisations économiques, politiques et culturelles véritables. Découvrez un dialogue enrichissant qui explore la géopolitique à travers les yeux du souverainisme, défie le "wokisme" et propose une approche audacieuse pour conserver traditions et identité culturelle dans notre société moderne. Notre interlocuteur n'est autre que Marc Rameaux, auteur de "Le souverainisme est un humanisme" paru chez VA Éditions et directeur de projet dans une grande entreprise industrielle française. Ses points de vue sauront assurément vous intriguer et stimuler votre curiosité.



Comment le souverainisme envisage-t-il les relations internationales dans un contexte de mondialisation ? Quel rôle le souverainisme assigne-t-il à la nation dans ce contexte ?

La réponse que donnent beaucoup de souverainistes est de revenir à un ordre mondial d’états souverains dont les fonctions régaliennes sont pleinement respectées.

Un monde dans lequel chaque pays européen pourra décider librement de sa politique d’immigration, des limites concernant les droits à la procréation assistée et à l’adoption, de sa politique d’investissement à ses filières industrielles et à son secteur agricole.

Cela ne signifie nullement dissoudre l’Europe : Airbus et Ariane sont les produits bénéfiques d’une association libre d’états souverains, sans besoin d’une superstructure bureaucratique. Toutes les réussites économiques européennes ont été des réussites souverainistes. L’UE ne compte à son actif que des réglementations, jamais de véritables réalisations.

Au-delà des frontières de l’Europe, cela signifie un ordre mondial respectueux du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Cette expression était courante dans les années 1970. C’est un élément de langage qui a disparu des médias actuels et cela n’a rien de fortuit.

La quasi-totalité des théâtres géopolitiques récents, Irak, Lybie, Égypte, Syrie, Ukraine, serait à revisiter selon ce nouveau prisme. De nombreuses guerres auraient pu être évitées dans une géopolitique souverainiste.

Contrairement à la vulgate courante, les guerres et violences géopolitiques ne naissent pas du sentiment national, mais de la folie des hégémonismes et impérialismes. C’est-à-dire de la négation et du non-respect des frontières et de la souveraineté d’autrui.

Il y a eu un pangermanisme, un panbritannisme, un pansoviétisme, un panaméricanisme et de nos jours un panislamisme. Ce sont là les expressions d’un délire de volonté de puissance. Le souverainisme, l’attachement à la patrie, est la mesure grecque, la modération, tandis que les impérialismes sont la démesure, ce que les Grecs dénommaient l’hubris.

L’attachement à sa patrie est perçu négativement de nos jours, particulièrement en France. Dans l’Odyssée d’Ulysse, la patrie est pourtant le retour au foyer et à la mesure. Après la folie guerrière de l’Iliade, l’Odyssée est un retour initiatique vers le berceau originel apportant l’apaisement. Nous devons tous retrouver notre Ithaque. Ulysse retrouve sa mère patrie et se retrouve également lui-même, en tant que personne.

Au-delà de cette réponse évidente, mon livre propose un argument inédit. Le mondialisme possède une telle force de frappe dissolvant états, nations et principes à travers la pression des marchés, que la réponse précédente paraît naïve. Ce sera le pot de terre contre le pot de fer.

Or la mondialisation parvient à une impasse. Elle vit à crédit des cultures historiques, littéraires, scientifiques et artistiques de chaque nation, qui sont les seules richesses véritables, y compris sur le plan économique. Pas « d’avantage compétitif » sans un puissant terreau culturel, car toute grande innovation en entrepreneuriat puise dans l’imagination et la mémoire collective de chacun.

La mondialisation a tellement malmené ces cultures centenaires et millénaires qu’elles se dissolvent, sous la pression de son nihilisme et de son culte de l’instantané. Cette avidité du pillard se retourne contre elle : son crédit est épuisé. Sans les racines culturelles de chaque nation, le véritable visage de la mondialisation apparaît : celui d’une humanité standardisée, conformiste, nivelée par le bas.

Si le souverainisme connaît un engouement de nos jours, c’est parce que chacun sent inconsciemment que nous courrons vers l’abîme si nous ne reconstituons pas ces réserves.

Vous parlez du danger de la mentalité « woke ». Pouvez-vous préciser en quoi cette mentalité représente une menace pour le souverainisme et la société en général ?

Au XIIIe siècle, quelle était d’après vous la première puissance mondiale ? Un écolier citera l’un des royaumes européens de cette époque. Éventuellement le califat abbasside s’il est de culture arabo-musulmane. Mais ces deux réponses sont fausses. L’empire Mongol était alors au faîte de sa puissance, sous la houlette de Kubilaï-Khan. Le grand Khan était à la tête d’une puissance qu’aucun empire occidental n’avait jamais atteinte dans l’histoire, Rome comprise. La « domination occidentale » n’a duré que depuis les trois derniers siècles tout au plus.
 
Le premier danger du wokisme est d’être faux. Non, l’histoire n’est pas le récit de méchants Occidentaux opprimant les autres peuples. La vision étendue de l’histoire nous apprend une autre leçon, hélas bien plus véridique et éternelle : l’homme est un loup pour l’homme. À chaque fois qu’il en a eu l’opportunité, tout groupe humain a asservi les groupes humains plus faibles. Et ceci a été le fait de toute ethnie envers toute autre ethnie.
 
Le wokisme est une idéologie fausse, ne traduisant que la mauvaise conscience occidentale. Il n’est guère différent du colonialisme d’antan, dont il a inversé le discours, mais aussi buté et arrogant dans la certitude de son bien-fondé. Un racisme dont on inverse les couleurs demeure un racisme.
 
Plus inquiétant, il se livre à de véritables autodafés, comme toutes les idéologies totalitaires ont pu en commettre. L’on sait depuis Orwell et Ray Bradbury que l’effacement de la mémoire ou sa réécriture forcée sont la façon la plus sûre de déstabiliser un peuple avant de l’éradiquer.
 
Le wokisme est le stade terminal du nihilisme qui a cours en occident depuis cinq décennies. Les idéologies de la déconstruction et du consumérisme à tous crins ont détruit toute forme d’engagement spirituel. De 68 au wokisme en passant par le marché mondialisé, tel est le fil conducteur de notre époque. Le wokisme est la dernière tentative désespérée de reconstruire une forme d’engagement, face aux idéologies précédentes qui n’ont jamais défini de pensée propre autre que nihilistes ou cyniques.
 
Les spiritualités de pacotille ont alors fleuri : wokisme, new age, écologisme obscurantiste, développement personnel, islamisme radical. Les spiritualités de pacotille sont la réponse et la conséquence de cette révolution de pacotille qu’a été mai 68, mouvement d’enfants gâtés, se voulant subversif, mais le plus conformiste et le plus dénué d’originalité qui soit.
 
Le wokisme et ses affidés se présentent tantôt comme des doctrines fondées sur le soft power, tantôt comme un radicalisme violent, tout comme le faisait 68. Leurs oscillations ne font que traduire le désarroi et l’absence de conviction réelle de leurs adeptes : elles ne sont qu’un palliatif à un mal être et une détresse psychologique profonde. Nulle surprise de les voir faire fureur chez les jeunes générations.
 
Parce qu’elles naissent de la même souche, ces doctrines s’entraident entre elles et font preuve de complaisance réciproque, jusqu’à la totale contradiction : un woke sera dans une attitude d’excuse et de soumission face à un intégriste musulman, alors que son espérance de vie n’excéderait pas quelques minutes dans une théocratie islamiste.
 
Le souverainisme est le meilleur antidote à ces hallucinations. D’abord parce qu’il est une reconstruction complète, de l’homme, de sa culture, des lignées historiques que sont les nations. Ensuite parce que les souverainistes sont radicalement antiracistes. Morgan Freeman avait sommé un journaliste d’arrêter de le considérer comme noir pour que lui ne le considère pas comme blanc, afin de s’adresser l’un à l’autre de personne à personne : voilà la bonne attitude. Le souverainisme évacue toute forme de racisme biologique parce qu’il porte un jugement lucide et réaliste sur les rapports humains et les rapports entre civilisations.

Vous indiquez que le souverainisme n’est pas un simple sentiment de nostalgie. Comment le souverainisme peut-il s’adapter à l’évolution des sociétés modernes, tout en préservant les traditions et l’identité culturelle ?

Le sentiment que « c’était mieux avant » ne peut tenir lieu d’engagement spirituel et politique. Parce qu’il ne porte pas de pensée propre ni de projet d’avenir. Mais ceci n’est que l’apparence du souverainisme ou la caricature qu’en font ses adversaires.

Le souverainisme véritable consiste à voir dans chaque personne et dans chaque nation une ligne de force de l’histoire, une musique infinie, un microcosme qui représente le monde, mais selon un génie particulier à chaque peuple qui fonde son identité. La reconstruction du sujet, de l’âme au sens judéo-chrétien et la reconstruction de l’identité d’une nation sont deux choses intimement liées. L’on n’est maître de soi que lorsqu’on est maître chez soi et réciproquement.

Voir le monde de cette façon, comme des lignes de force exprimant la totalité, mais selon un point de vue spécifique, est à la fois extrêmement moderne et très ancestral. Je m’appuie dans mon livre sur une pensée ancienne, je laisse au lecteur la surprise et le plaisir de la découvrir.

Celle-ci a inspiré les développements les plus modernes de la connaissance. Je suis un professionnel des nouvelles technologies, de l’IA et de la data science et je trace un trait direct entre cette lignée historique qui remonte à très loin et ces avancées scientifiques.
Toute la question est de savoir si la nation s’oppose à l’universel ou si la nation est l’universel, mais inscrit dans une histoire concrète, réalisée par le génie particulier d’un peuple. L’universel, mais vu d’une certaine façon.

J’ai fait mon choix depuis longtemps. Historiquement, la nation française s’est construite contre les particularismes, les communautarismes de toutes sortes. Faire de la nation un particularisme parmi d’autres est une erreur létale. Il n’y a rien de fortuit à ce que la nation s’oppose aujourd’hui aux deux mâchoires qui nous enserrent : les communautarismes violents et repliés sur eux-mêmes d’une part, les « universalismes » abstraits du mondialisme, formels et désincarnés, conduits par des bureaucraties kafkaïennes, espaces vides et glacés au sein desquels l’être humain n’a plus sa place.

Toute grande construction humaine et historique résout la question du général et du local, du pouvoir et de l’initiative humaine personnelle. Si les nations existent et doivent continuer d’exister, c’est parce qu’elles sont les creusets qui réalisent cette alchimie, cette conciliation de vertus universelles et des initiatives de chaque personne et de chaque peuple.

Enfin, vous prétendez que le souverainisme est capable de battre le progressisme face aux défis du monde moderne. Quels sont ces défis selon vous, et comment le souverainisme peut-il proposer des solutions plus efficaces que le progressisme pour y faire face ?

Le premier défi est celui de la mondialisation économique. Dans son excellent livre « The work of nations », Robert Reich, ancien secrétaire d’État au travail du gouvernement Clinton raconte que l’on avait demandé au PDG de General Motors, dans les années 1950, ce qu’il ferait s’il devait prendre une décision bonne pour General Motors, mais mauvaise pour les États-Unis. A cette époque, le PDG avait fait cette réponse lapidaire : « La question ne se pose même pas : tout ce qui est bon pour General Motors est forcément bon pour les États-Unis et tout ce qui est bon pour les États-Unis l’est nécessairement pour ma compagnie ». Tout le drame de la mondialisation, commente Reich, est que cette phrase n’est plus vraie de nos jours.

Avec des GAFAM possédant une puissance similaire, voire supérieure à celle d’états constitués, des fonds d’investissement pouvant s’affranchir de toute régulation nationale et pouvant spéculer sur la monnaie d’un pays, les nations ne paraissent-elles pas dérisoires face à la puissance dissolvante des marchés ?

Trente années de pratique de l’industrie, de l’économie réelle et non celle que l’on enseigne sur les bancs de l’université ou celle du bavardage journalistique, m’ont enseigné que la puissance de la mondialisation n’est qu’apparence. Elle est un colosse au pied d’argile.

Toutes les économies fortes appliquent et ont appliqué dans l’histoire un principe simple : être libre-échangiste sur la diffusion et commercialisation de leurs biens et services, mais être très protectionnistes sur leurs savoirs et leurs savoir-faire.

Il ne s’agit pas de réflexes de défense : l’économie ne tourne simplement pas et ne produit aucune valeur si ce différentiel n’est pas maintenu en permanence, comme le courant électrique nécessite une différence de potentiel.

Au passage, cela montre que le clivage entre libre-échange et protectionnisme est simpliste et inopérant. Tout stratège économique emploie les deux, comme tout stratège militaire sait alterner attaque et défense au bon moment.

Les filières industrielles du gaullisme se sont montrées beaucoup plus compétitives économiquement que le mondialisme, y compris en économie ouverte. Les souverainistes ne doivent pas avoir de complexe vis-à-vis des mondialistes sur ce terrain. Ils peuvent développer un capitalisme de conquête, nullement replié sur lui-même.

Les mondialistes se targuent de connaissances économiques, mais ne recrutent que parmi les universitaires, journalistes bavards, bureaucrates de toutes sortes, n’ayant aucune expérience du terrain. Ils sont comme un militaire qui n’aurait jamais connu l’épreuve du feu.
 
Le second défi est civilisationnel. Nous sentons tout plus ou moins consciemment que nous sommes à la croisée des chemins, que tout ce qui constitue notre civilisation pourrait être englouti, sous la double poussée de la corrosion mondialiste et des intégrismes violents qui lui répondent, deux faces d’une même médaille.

Le souverainisme est le plus à même d’affronter ce double écueil, le Charybde et Scylla de notre culture. Pourquoi ?

Parce qu’il ne se trompe pas de combat. Parce qu’il redessine nettement les lignes de force des cultures et civilisations, il écarte le racisme et le communautarisme, en reconstituant les véritables causes de chaque conflit.

Parce qu’il reconstruit l’homme et ne le coupe pas du milieu nourricier de son histoire et des lignées historiques dont il est issu, il affronte l’avenir avec confiance et bienveillance, mais lucidité et intransigeance implacable si nécessaire. Les meilleures vertus guerrières ne sont pas celles des agressifs, mais celles de l’homme tranquille qui s’est retrouvé lui-même.











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