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Les limites du marché


Paul De Grauwe
Jeudi 17 Septembre 2015



Quelles sont les limites qui à chaque fois arrêtent l’expansion des marchés? Et quelles sont les limites de la politique qui conduisent à chaque fois qu'elle se retire de l'économie? Sommes-nous condamnés à répéter ce mouvement cyclique dans l'expansion du marché et la politique? Ou un équilibre magique entre les deux est-il possible? Telles sont les questions que j’explore dans mon livre « Les Limites du Marché ».



Crédits: De Boeck Supérieur
Crédits: De Boeck Supérieur
L'histoire du capitalisme est une histoire de grands mouvements cycliques. Des périodes de croissance irrésistible alternent avec des périodes de recul traumatiques. Au cours de la seconde moitié du 19ème siècle et pendant la période 1980-2008 la dynamique économique semblait sans limites, créant une grande richesse matérielle telle qu’aucun autre système économique ne parvint à réaliser. Mais chaque fois, le système économique se heurtât à des limites et devint victime de son propre succès. C’est alors que les autorités publiques prennent les leviers de l’économie en main. Cela c’est produit quand le monde capitaliste fut frappé par la Grande Dépression des années trente. Le résultat de cette catastrophe fut qu’un peu partout, l'Etat pris les commandes de l’économie en main. Mais au fil du temps ces systèmes dirigistes eux-mêmes butèrent contre leurs limites et interrompirent leur ascension. Dans les années quatre-vingt du siècle dernier cela conduit à un retour triomphal sur le marché. Il semble que le marché et le gouvernement tournent en permanence autour de l'autre dans une tentative de prendre le relais..

D'où viennent les limites du système de marché? J’explore les limites externes et internes. Les limites externes surviennent parce que les individus ne prennent pas en compte les effets externes de leurs décisions individuelles. Ce problème se fait sentir dans trois domaines. Tout d'abord le  système de marché incontrôlé engendre la dégradation environnementale, et la détérioration augmente avec l'expansion du système. Un « mal public » est créé, qui devient de plus en plus important. Deuxièmement, l'extension des marchés financiers pendant les périodes de boom économique créent à leur tours un mal public, notamment l'instabilité d'un système auquel personne ne peut échapper. Troisièmement, et paradoxalement, l'expansion du marché conduit à un déclin de l'importance des biens publics.

L'expansion du système de marché se heurte également à des limites internes. Celles-ci ont à voir au fait que le système de marché fait appel aux capacités rationnelles et calculatrices des individus et forcent ceux-ci à répondre à des incitations financières et à la concurrence. Lorsque le système de marché libre gagne en importance, comme cela a été le cas au cours des trois dernières décennies, ces capacités rationnelles de chaque individu deviennent plus importantes. Ils sont de plus en plus la norme de la réussite individuelle. Mais cela signifie aussi que d'autres propriétés individuelles tout aussi importantes qui appartiennent au système émotionnel sont mis sous pression. Pour beaucoup de personnes qui attachent une grande importance à une juste répartition des revenus, aux motivations intrinsèques et à la coopération ceci entraine un manque de satisfaction et de bonheur. Le système de marché conduit à une grande prospérité matérielle, mais beaucoup de gens sont quand-même insatisfaits. Cela peut conduire à un rejet du système, qui est perçu comme injuste, dur et froid. Quand cela se produit, le consensus social en faveur du système de marché libre est miné. Aujourd'hui cela risque de se produire principalement en raison de l'augmentation spectaculaire de l’inégalité des revenus et de la richesse.

Les économistes ont développé une théorie qui permet de décrire la façon dont le gouvernement devrait intervenir pour sauver le système de marché de la ruine. Mais cette connaissance suffit-elle? Souvent, nous savons très bien ce que le gouvernement devrait faire, mais le gouvernement n’agit pas. Cela a tout à voir avec les limites auxquelles la politique est soumise et qui rend souvent difficile d'imposer aux individus ce qui est bon pour la collectivité dans son intégralité. Ils existent donc des écarts importants entre la rationalité individuelle et collective.

L'histoire des deux cents dernières années en est une de grands mouvements de pendule entre le marché et l’Etat. La question est de savoir si ces mouvements pendulaires se répéteront à l'avenir. Si tel est le cas, l'expansion des marchés que nous avons vu les trente dernières années, conduira inévitablement à un retour de l’ Etat comme force dirigeante dans la vie économique. Cela semble d’autant plus probable qu'il s’avère impossible de contrôler les impacts environnementaux négatifs de la croissance économique dans le monde. Ces impacts négatifs sur l'environnement risquent de devenir si grandes qu'elles déstabiliseront les systèmes politiques et sociaux. Cela pourrait conduire à un retour des systèmes politiques autoritaires qui se chargeront du contrôle du système économique.
 

Paul De Grauwe

est professeur à la London School of Economics et professeur émérite à la Katholieke Universiteit Leuven. Il est aussi un ancien sénateur belge, membre du parti libéral flamand OpenVLD.

Après avoir étudié au Collège Saint-Jean-Berchmans de Bruxelles, il obtient une licence en sciences économiques (Katholieke Universiteit Leuven). Il est titulaire d'un doctorat en économie (Johns Hopkins University) et est aussi docteur honoris causa (Université de Saint-Gall) ;

Il fut économiste au Fonds monétaire international de 1973 à 1974.


L'ouvrage Les limites du marché, L'oscillation entre les autorités et le capitalisme est paru aux Editions De Boeck Supérieur en juin 2015.





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