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Pierre Fayard dévoile ses "Douze stratégies pour séduire"


La Rédaction
Mardi 2 Août 2016



Spécialiste de Sun Tzu, Pierre Fayard détourne la littérature stratégique traditionnelle pour explorer le terrain de la séduction. Dans son ouvrage « Douze stratégies pour séduire. Quand la séduction fait son cinéma », il décrypte des mythes emblématiques et des figures contemporaines de séduction. Au fil des chapitres, les manœuvres s’explicitent et les masques tombent. Nous avons rencontré Pierre Fayard qui nous explique sa démarche originale et livre une analyse subtile des rapports de séduction dans notre société.



Pierre Fayard
Pierre Fayard

Vous êtes l’auteur de « Douze stratégies pour séduire. Quand la séduction fait son cinéma ». Comment est né cet ouvrage ?

Au fil de l’eau et des années, à la confluence d’un intérêt pour la stratégie et les cultures, le goût de l’humour et de l’écriture, et l’expérience vécue aussi. Des répliques mythiques comme celles de Jean Gabin à Michèle Morgan (T’as d’beaux yeux tu sais), de Chimène à Rodrigue le Cid Campeador (Va je ne te hais point), de Laureen Bacall à Humphrey Bogart (Anybody got a match?) et bien d’autres retenaient mon attention. J’aimais ces images, leur éloquence et leur rythme, et j’ai voulu expliciter les stratégies qui les sous-tendent et proposer des contres. Chemin faisant, l’empreinte culturelle qui marque ces scénarios de drague m’a semblé évidente. Cela m’a conduit à inclure des chapitres qui traitent de flamenco (Absolute dating, ou la drague samouraï), ou encore d’une séduction par la fusion propre aux ruses du jeitinho brasileiro.

Inviter les stratèges Carl von Clausewitz ou Sun Tzu dans le jeu de la séduction est un pari osé. Pourquoi les avez-vous convoqués sur ce terrain ?

Parce que stratégie et séduction sont intimement liées, mais aussi par impertinence et pour inciter à penser autrement. Extraire de son contexte un général prussien, Clausewitz, auteur du traité qui inspira les hécatombes guerrières du siècle passé, ou souligner l’actualité d’un stratège chinois vieux de quelque vingt-cinq siècles, Sun Tzu, relève de la gageure. Mais la stratégie est loin de se limiter à des batailles ou des conflits, elle est l’affaire de tous. Stratego ergo sum, « je stratège donc je suis », une telle formule pourrait exister. Dès lors qu’il y a volonté, la stratégie s’invite. En termes d’opérationnalité, la séduction a tout intérêt à s’inspirer des principes et des modèles de la littérature stratégique traditionnelle.
 

Quel est leur apport dans l’analyse des rapports de séduction?

Schématiquement, une « séduction à la Clausewitz » consistera, comme aux Échecs, à éliminer successivement les obstacles qui s’opposent au consentement de celle, ou de celui, que l’on courtise. Les arguments et résistances seront réduits un à un jusqu’à ce que l’autre, sans plus de défenses, ne puisse que dire oui ! Sans être des plus subtils, un tel modèle existe. À l’inverse, une séduction suntzienne procédera, comme au jeu de Go, du global, léger et insensible jusqu’à l’inexorable en évitant toute confrontation qui raidit les positions. Plutôt que de s’imposer frontalement, elle puisera ses arguments dans le registre du partenaire considéré comme un potentiel. Le constat sous-jacent est que l’on n’est jamais mieux séduit que par soi-même. Ces deux approches soulignent la différence entre une stratégie a priori où l’on impose un scénario de l’extérieur, et une stratégie en fonction où l’on tire bénéfice du potentiel des situations.
 

cc Pixabay
cc Pixabay

Votre livre décrypte la séduction à partir de douze récits emblématiques tels que Tarzan ou James Bond. Que nous apprennent ces mythes cinématographiques ?

Ce n’est pas un hasard si des films comme Tarzan ou James Bond font désormais partie intégrante du patrimoine cinématographique mondial. Bien qu’ils ne traitent pas que de séduction, leurs non-dits sont éloquents et révélateurs de cultures et de systèmes de valeurs. Dans In the Mood for Love de Wong Kar-wai, dont le titre original est Le Temps des Fleurs, la culture chinoise de l’économie et des procédés indirects est manifeste. Dans cette séduction d’ambiance ponctuée de quizas et de perhaps modulés par Nat King Cole, tout participe sans chef d’orchestre explicite, et pourtant... Dans la scène d’anthologie du Quai des Brumes de Marcel Carmé, l’élégance est de mise lorsque Gabin, dans une parfaite manœuvre oblique, confie à Michèle Morgan dans un souffle T’as d’beaux yeux tu sais. Et l’on connaît la suite… La séduction est une dimension inhérente à l’existence, et considérer la stratégie l’enrichit.
 

Votre ouvrage aborde également les codes culturels de la séduction. Quel impact ont-ils?

On ne séduit pas à l’identique en Italie, dans les plaines du Midwest US, à Hong Kong ou sur un Champ de Foire à Paris. Ce qui marche remarquablement dans un pays se traduit en flop magistral dans un autre. Là où oui, ou non, sont explicites et sans appel aux États Unis, ils sont très relatifs au Brésil, et tout au plus indicatifs. De quoi ? Cela reste à deviner et ménage des marges de manœuvre. Les modes d’interaction tacites ou explicites, les montées en puissance, les rebondissements et les déclarations, tout est affaire de dosage en séduction. Au Japon, regarder dans les yeux gêne considérablement alors qu’en Occident on l’assimile à l’expression d’une sincérité. La chose est d’autant plus compliquée qu’en certaines situations, dire non frise l’offense au Japon. L’ignorance ou l’insensibilité aux codes culturels et sociaux débouche sur toutes sortes de méprises. Le cinéma constitue de fantastiques lucarnes pour apprendre des autres, nous inspirer d’autres cultures et relativiser la sienne.
 

Existe-t-il une stratégie infaillible pour séduire ?

C’est ce que prétendent les Pick-up Artists nord-américains qui mettent la drague en processus technique prétendument infaillible, et qui en fond un business lucratif. Comme la stratégie, la séduction est paradoxale, tout avantage connu est aussitôt imité ou contré. On voudrait croire en l’arme fatale, mais elle n’existe pas. Heureusement car cela deviendrait triste. La séduction n’est pas une mécanique sans surprise, sans hasard et sans risque. Comme en cuisine, les seuls ingrédients ne suffisent pas à la réussite. Cela dit, tout le monde peut être séduit car tout le monde cultive des rêves en son cœur. Tout le monde peut-il être séduit ? Oui, encore faut-il y mettre le prix et en avoir envie. L’art réside dans la conjonction et la composition de nos désirs avec ceux de l’autre. L’échec est assuré dès lors qu’on les néglige, qu’on les oublie ou que l’on en fait aucun cas. Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe. Comme la stratégie, la séduction ne relève pas d’une science exacte, et heureusement !
 

Selon vous, les rapports de séduction entre hommes et femmes ont-ils évolué ?

Les voies du commerce entre les sexes évoluent nécessairement avec le temps. Comment nos ancêtres procédaient dans leurs cavernes sans chat, sans internet ni whatsapp. Pourtant nous sommes leurs descendants. Les effets de balancier sont caractéristiques de l’histoire. Jusqu’à des mouvements tout à fait légitimes de libération de femmes finissent par grimacer dans un puritanisme outrancier. Aujourd’hui, le moralisme du sexuellement correct coexiste avec l’inflation des sites pornographiques. Entre personnes consentantes, la formule Moi Tarzan toi Jane, ou l’inverse, peut comporter une charge érotique certaine, tout dépend du contexte. Dans les sociétés libérales et démocratiques, l’implication des femmes s’est considérablement renforcée. À l’inverse, les sociétés machistes font de la domination masculine et de la soumission féminine un antidote à la peur de l’autre qui les mine. Il faut voir les procédés et réalités de la séduction comme le résultat d’une dynamique créative sans fin.
 

Les nouvelles technologies, et les réseaux sociaux en particulier, bouleversent-ils les stratégies de séduction ?

Assurément. L’offre du virtuel, théoriquement sans limites, donne le vertige mais constitue une dimension nouvelle pour la séduction. Le relatif anonymat technologique permet d’oser beaucoup plus avant de se dévoiler. L’argument central est le sur mesure pour trouver idéalement ce que l’on recherche. Cela relève d’une forme de « démarche produit », à consommer sans s’encombrer des conséquences. Mais derrière le narcissisme des e-miroirs magiques interconnectés, se profile le risque d’un véritable autisme. Dans la drague zapping, le fast dating, il suffit de savoir tendre le miroir de l’autre à l’autre pour qu’il s’y retrouve et y tombe ennivré d’enthousiasme. Les recruteurs terroristes en usent de redoutable manière pour cultiver une valorisation réconfortante fondée sur la coupure d’avec la situation réelle présente. Les e-réseaux dits sociaux où tout le monde il est beau, souriant et exceptionnel, sont asociaux par rapport à l’ici et maintenant. Au final, l’intensification des e-pratiques met comme jamais la séduction à l’ordre du jour.
 

Stratégie, contres stratégies, calculs, ruses et tactiques… quelle place reste-t-il à la spontanéité dans les rapports de séduction?

Que la morale le condamne ou que le réalisme le déplore, toutes ces modalités participent de la stratégie comme de la séduction. Zeus en a donné plus que l’exemple à travers ses manigances extraconjugales, soit pour que Héra ne le voit pas, soit parce que ses interlocutrices n’étaient pas consentantes. Points positifs, la spontanéité et l’authenticité contribuent à la confiance dans la relation. Cela dit, on aurait tort d’oublier que la séduction est un jeu, parfois dangereux, mais fondamentalement féminin et masculin Spontanéité et authenticité ? C’est une question éternelle. La séduction est une pratique paradoxale très inventive qui fait mentir les prévisions mathématiques et qui déçoit ce qui marche déjà. C’est pour cela qu’elle est une activité fondamentalement stratégique puisqu’elle est affaire de volontés non tant aux prises qu’en interaction. À ceux que l’on identifie comme non sincères, on n’accorde pas sa confiance, or cette dernière qualité est essentielle en séduction.
 

Douze stratégies pour séduire. Quand la séduction fait son cinéma

Qui n’a jamais rêvé de séduire à la James Bond à la simple évocation de son nom agrémenté de son prénom (My name is Bond, James Bond), ou rondement en désignant les parties prenantes nécessaires et suffisantes à l’union (Moi Tarzan, toi Jane donc…), ou par le duende d’un imparable Absolute dating flamenco ? Si derrière ces figures mythiques, les stratégies sont rarement explicites, l’ambition de ce livre est de les formaliser et d’évaluer les conditions de leur efficacité.
 De la jungle profonde d’une île du Pacifique à Séville en passant par Sao Paulo et New York où Sherlock Holmes peut côtoyer Sun Tzu et Clausewitz, Hong Kong (La séduction d’ambiance) et Paris (T’as d’beaux yeux tu sais), cet essai décrypte avec humour et insolence les manœuvres qui sous-tendent douze scénarii emblématiques. En s’arrogeant de grandes marges de liberté pour les interpréter, il s’aventure à proposer des alternatives pour les contrer en s’inspirant de grands classiques asiatiques et occidentaux de la stratégie.
 

Editions VA Press / 150 pages N&B / 1ère édition (2016)
ISBN 979-10-93240-12-1
Prix net : 17,90€ TTC
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