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À l’hôpital, la performance ne se mesure pas comme dans une entreprise


La Rédaction
Mercredi 25 Avril 2012



Quelques années après l’entrée en l’application de nombreuses réformes du système hospitalier, les praticiens du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi (SNPHAR-E) sentent leur profession, leur cadre de travail et leurs objectifs changer. Ils proposent dans un livre leur analyse de l’origine de ces changements ainsi qu’un regard critique sur leurs répercussions dans la pratique des soins.



À l’hôpital, la performance ne se mesure pas comme dans une entreprise
Depuis quelques années, le milieu hospitalier est l’objet de nombreuse réforme. Décidé sous gouvernement Jupé, le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) a notamment introduit l’objectif financier dans le cahier des charges des hôpitaux français. Plus récemment, le plan « Hôpital 2007 » et la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoire (HPST 2009) ont incorporé des éléments tels que la tarification à l’activité (T2A) au rang des standards de gestion hospitalière. L’hôpital évolue, vraisemblablement sous l’influence d’exigences nouvelles en matière d’administration. C’est en réaction à cette évolution, désormais palpable après quelques années d’application des réformes hospitalières, que des professionnels ont souhaité s’exprimer. Bertrand Mas, Frédéric Pierru, Nicole Smolski et Richard Torrielli consignent leur analyse de la situation dans leur livre coécrit avec d’autres praticiens du SNPHAR-E : L’hôpital en réanimation - Le sacrifice organisé d’un service public emblématique.

Le livre présente une collection d’articles organisés selon deux lignes de force. Avec pour point de départ la constatation de nouvelles pratiques de gestion hospitalière, les auteurs mettent dans un premier temps en exergue les origines idéologiques des réformes hospitalières intervenues ces dernières années. Ils en illustrent dans un second temps les conséquences sur le corps médical et les usagers du service public hospitalier.
 
Présentée par l’État comme l’instrument de l’autonomisation des hôpitaux, loi HPST de 2009 est dénoncée par les auteurs comme l’acte du processus de privatisation du secteur hospitalier. Dans leurs lignes les auteurs montrent par exemple comment cette loi a favorisé la mise en compétition des centres hospitaliers. Ils expliquent par ailleurs comment le rapport des centres de soins avec les instances supérieures de l’administration publiques s’est contractualisé. Les rédacteurs apportent également un éclairage au sujet de la refonte des modèles administratifs internes aux hôpitaux français désormais doté d’un directoire, d’un conseil de surveillance et d’un directeur aux pouvoirs renforcés.

Il ne s’agit pas pour les auteurs de crier au démantèlement des hôpitaux et du système de santé. Toutefois, ces nouveautés – comme le développement d’instances de contrôles, le recours à des consultants, la création de cellules de direction – révèlent selon les praticiens la filiation doctrinale des réformes qui ont touché le monde hospitalier depuis 2009 en particulier. En effet, les hôpitaux ne sont-ils pas en train de se transformer progressivement en autant  d’entreprises fonctionnant selon les règles du marché et une logique interne managériale ? Les praticiens-rédacteurs attirent ici l’attention du lecteur sur des changements qui leurs apparaissent tendancielles.
 
Ils s’inquiètent en effet car les réformes ont en bien des endroits imposés  au corps médical des carcans réducteurs pour leur pratique des soins. Les auteurs illustrent à l’aide d’exemples tirés de leurs expériences de terrain en quoi la mise en compétition des établissements et leur comparaison par l’administration centrale impose la standardisation des activités médicales. Ils montrent également en quoi cela sert la transparence juridique au détriment des besoins particuliers des usagers tout comme la tarification à l’activité qui pousse les établissements à privilégier certains actes au détriment d’autres jugés moins rémunérateurs. Les auteurs expliquent également les raisons qui font les nouvelles instances de gouvernance – instaurées pour inclure les praticiens à la gestion des centres hospitaliers – sont en fait les outils d’une bureaucratisation accrue et d’une autonomie fictive des hôpitaux.

Pour les auteurs, la mission du service public hospitalier et la prise en charge systématique des patients sont mises en danger par les nouveaux standards imposés aux professions de santé. Ils craignent que derrière ces évolution se cache en fait la volonté politique de sacrifier à la logique marchande l’hôpital public – pourtant traditionnellement conçu comme un lieu d’accès universel au soin –.Les auteurs ne manquent d’ailleurs pas de faire remarquer l’abandon du terme « hôpital » par le terme « établissements de santé », regroupant indifféremment établissement privés et publics, dans les textes de loi.
 
Si les répercussions de la transformation du système hospitalier publique sur les soins sont finalement isolées, les praticiens se doivent de réagir face à l’introduction progressive dans leur environnement d’outils de gestion typiques du management d’entreprise. L’hôpital en réanimation est à cet égard un geste citoyen. Plus encore, il constitue une approche critique construite et étayée de l’expérience de professionnels de santé. Pour Bertrand Mas, l’évolution des professions hospitalières telles qu’elle semble se profiler au regard des politiques publiques contemporaines n’est pas souhaitable. L’hôpital publique doit reposer sur des valeurs de démocratie et de dignité et non pas sur des logiques de performance individuelle qui animent les entreprises privés. Avec la parution cette année d’un nouveau plan intitulé « Hôpital 2012 », le débat reste plus que jamais d’actualité.

Bertrand Mas, Frédéric Pierru, Nicole Smolski et Richard Torrielli, L’hôpital en réanimation – Le sacrifice organisé d’un service public emblématique, Editions du Croquant, collection Savoir agir, Paris, 2011










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