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Au cœur de l'innovation dans l'industrie pornographique


La Rédaction
Vendredi 14 Septembre 2018



La consommation de films pornographiques n’a jamais été aussi importante qu’à l’heure d’Internet. L’industrie du X a su exploiter au tournant des années 2000 les opportunités offertes par le web pour diffuser ses produits auprès d’un public toujours plus large. Cette intégration des outils numériques n’est pas anodine, elle dévoile une faculté d’adaptation propre à cette sulfureuse industrie. Depuis sa naissance, cette dernière fait preuve d’avant-gardisme en matière de renouvellement des procédés techniques. Elle fut régulièrement à l’origine de grappes d’innovation qui orientèrent des pans entiers de l’économie. Professeurs de management spécialisés sur les questions d’innovations, Sébastien Liarte et Hélène Delacour nous dévoilent ici la face cachée d’une industrie taboue.



Au cœur de l'innovation dans l'industrie pornographique
Article d'Hélène Delacour et Sébastien Liarte publié dans la revue des affaires n°6

L’industrie pornographique est régulièrement associée à différentes innovations, en particulier celles permettant la diffusion de contenu. Plus encore, l’idée que l’industrie pornographique favoriserait elle-même, par la forte consommation de ses produits, certaines innovations est régulièrement reprise en mobilisant de nombreux et anciens exemples. L’essor de la diffusion de la presse papier serait imputable à l’impression de textes d’illustration moins religieux qu’à ses débuts, la photographie et les romans de poche érotiques auraient connu une forte croissance du fait d’une demande accrue émanant des soldats mobilisés durant les premiers conflits du XXème siècle. Il n’en faut pas plus pour imputer le développement et le succès d’innovations plus modernes telles que le cinéma, la vidéo ou encore Internet à l’industrie pornographique.
Si le fait de savoir si l’industrie pornographique joue ou non un rôle décisif dans le succès des innovations est une question importante, ce qui nous importe ici est de chercher à comprendre en quoi certaines innovations intéressent particulièrement les acteurs de l’industrie pornographie. En effet, le choix de s’orienter vers une innovation particulière, voire de la soutenir activement, est sans nul doute à mettre en lien avec la réponse aux attentes des consommateurs de cette industrie.
A travers les innovations, l’industrie pornographique tente en permanence d'améliorer son service. Cette amélioration porte sur trois points clés: la recherche d’intimité, la recherche d'interactions et enfin la recherche de sensorialité. De manière classique, la consommation de pornographie va de pair avec une recherche d’intimité. Toutefois, il est notable que ces points peuvent se révéler contradictoires. Par exemple, la quête d’intimité peut conduire à un repli sur soi, un isolement incompatible avec un besoin d’interactions et une sensorialité partagée. Néanmoins, tous trois alimentent un processus d'innovation permanent.

La recherche d’intimité
Depuis Serpentine Danse en 1865, premier film faisant scandale où l’on peut voir une femme agitant des voiles transparents en dansant, le développement du cinéma a permis l’émergence de l’industrie du cinéma pornographique à part entière, même si de nombreuses années seront nécessaires avant une diffusion plus massive. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, les innovations technologiques autour de l’industrie du cinéma pornographique restent très limitées en raison d’un problème important : la nécessité de se rendre dans des salles spécialisées dans la diffusion de ce type de films. Or, si le visionnage d’un film pornographique peut s’avérer une expérience sensorielle recherchée, le fait de devoir le faire à plusieurs en se rendant dans un lieu public freinent certains spectateurs. C’est alors qu’intervient une innovation technologique, le passage du 35mm à la vidéo, qui va bouleverser l’industrie.
Dans un premier temps, les films vont sortir des salles pour être diffusés en cabine dans les sex-shops. Cela permet de profiter de la diffusion de manière plus solitaire et d’accroitre le choix en termes de contenus et d’horaires. Puis, la généralisation des magnétoscopes va favoriser la consommation de films pornographiques à domicile suite à l’achat dans un sex-shop, une location dans un vidéo-club ou, plus tard, à travers la distribution dans les kiosques à journaux. A Paris, la fréquentation des salles classées « X » passe ainsi de 5,6 millions d'entrées en 1977 à 1,2 million en 1986. Aujourd’hui, on ne dénombre plus qu’une seule salle sur tout le territoire, à Paris.
C’est ensuite une innovation d’une autre nature qui a permis d’améliorer la recherche d’intimité : la télévision payante, système dit du pay per view. En France, le 31 août 1985, Canal + bouscule l’ordre établi avec la diffusion du premier film pornographique, Exhibition (en 2000, le film pornographique de Canal+ est vu par 35% de ses abonnés). La création de chaines spécialisées (Playboy TV, XXL, etc.) et diffusées par satellite rend accessible les films pornographiques dans le monde entier notamment à travers les grandes chaines d’hôtel. Près de 75% des recettes de pay per view dans ces établissements correspondent à des films pornographiques, ce qui correspondrait en 2011 à 129 euros par chambre et par année de revenus en moyenne pour un hôtel. L’introduction du DVD contribuera également à la diffusion des films pornographiques, du fait de sa taille et de son poids réduit par rapport à la cassette vidéo.
Les années 2000 marqueront un nouveau tournant grâce à l’essor d’Internet. Plus besoin de se déplacer ou de s’abonner à une chaîne spécialisée, la pornographie est directement accessible à partir de n’importe quel ordinateur. Parallèlement au développement d’Internet, l’industrie pornographique a bénéficié tant des innovations concernant les supports (smartphones, tablettes) que des innovations concernant la diffusion des films (streaming, peer to peer, etc.). Les deux types d’innovation conduisant à pouvoir disposer de n’importe quel contenu pornographique n’importe où et à n’importe quel moment et assurer aux consommateurs une diffusion dans la plus parfaite intimité.

La recherche d’interactions
Au-delà de la recherche d’intimité, un autre besoin des consommateurs concerne l’interaction. Le besoin d’intimité conduit à une sensorialité autocentrée pouvant être vécue comme restrictive ou ne correspondant pas à une sensorialité partagée à laquelle pourrait correspondre une activité sexuelle vécue.
Pour tenter de répondre à ce besoin d’interactions, l’industrie pornographique a exploité le développement de plusieurs technologies à son avantage. Très tôt, les services de téléphone érotique (ou téléphone rose) ont vu le jour afin d’offrir la possibilité de conversations à caractère érotique avec des hôtesses. En France, le Minitel a permis un service équivalent par écrit à travers des sites devenus mythiques comme « 3615 ULLA ».
Ces services ont enrichi leurs fonctionnalités avec le développement et la généralisation des webcams dans les ordinateurs et l’amélioration du traitement des flux vidéo en direct sur Internet. Des innovations telles que MSN puis Skype ont accompagné le développement de sites d’hôtesses par webcam. Une innovation comme celle de Facetime se trouvant par défaut dans tous les Iphones depuis la version 4 facilite encore un peu plus le recours à ce type de service.
Les services de mise en relation de personnes mobilisent également deux autres types d’innovation. La première vise à permettre une rémunération du service. Le minitel a été particulièrement apprécié de l’industrie pornographique car la tarification était directement prélevée par France Telecom puis reversée à l’entreprise. Pour les autres services, il faut soit passer par la carte bancaire (rendu obligatoire aux Etats-Unis afin d’attester l’âge légal pour l’utilisation des services mais dont le public reste assez réfractaire), soit utiliser des systèmes de micro-paiement par téléphone pour des produits digitaux depuis le début des années 2000 (comme Allopass créé en 2001, par exemple). Actuellement, l’application Snapchat qui permet d’échanger des photos a lancé, en 2014, Snapcash, une fonctionnalité permettant à ses utilisateurs de s’envoyer de l’argent. Certaines photos peuvent alors s’échanger contre de l’argent.

La recherche de plus de sensorialité
L’industrie pornographique attend plus des innovations à venir. Le prochain défi consiste à accroître l’expérience sensorielle du consommateur. Plus précisément, il s’agit d’effacer au maximum la frontière entre le monde virtuel et le monde réel. Cette révolution passe par l’intégration des innovations actuelles et futures en termes de réalité augmentée et de robotique. Si le passage au numérique haute-définition (avec le développement du Blu-Ray par exemple) ne constitue pas une avancée importante pour le spectateur, en revanche, il autorise un volume de stockage de données plus important et, par conséquent, la possibilité de proposer des premiers films en 3D.  Le premier film 3D Sex and Zen : Extreme Ecstasy  est sorti en mai 2011. Pour éviter un retour en arrière dans les salles obscures, demeure la question de la diffusion en 3D dans les foyers. Plusieurs technologies de diffusion avec ou sans lunettes 3D sont pour l’instant en concurrence. L’industrie pornographique attend de nouvelles innovations dans le domaine afin d’enrichir son offre.
Afin de proposer une expérience toujours plus proche de la réalité au niveau des sens, l’industrie pornographique cherche également à combiner différents appareils, logiciels et films. Le terme de teledilconics a d’ailleurs été introduit en 1993 dans le journal Chicago Tribune pour décrire « la technologie de réalité virtuelle qui pourrait un jour permettre aux gens de porter des combinaisons spéciales, des cagoules et des gants afin de se livrer à des relations sexuelles tactiles à distance, par l'intermédiaire d'ordinateurs connectés à des lignes téléphoniques ». Aujourd’hui, une entreprise comme VirtualRealPorn propose le visionnage de vidéo en réalité augmentée.
Enfin, le croisement de la robotique et l’intelligence artificielle a conduit à une innovation permettant de combiner intimité, interactions et sensorialité proche du réel : les sexbots, c’est-à-dire le robot sexuel. Le premier, dénommé Roxxxy et mesurant 1,73 mètres, a été créé en 2015. Selon son créateur Douglas Hines, « c'est une vraie compagne. Elle a une personnalité. Elle vous entend et vous écoute. Elle parle. Elle sent quand on la touche. Elle dort. Bref, on a essayé de reproduire tous les traits d'une personnalité humaine". Il ne s’agit plus de consommer de la sexualité à travers les films dès qu’on le souhaite et où on le souhaite mais bien d’avoir une activité sexuelle dès qu’on le souhaite et où on le souhaite.

Conclusion
Loin de savoir si l’industrie pornographique fait ou défait des innovations, ce qui est sûr c’est que cette industrie n’a cessé d’exploiter rapidement de nombreuses innovations afin de s’assurer le développement de son activité. Ces innovations de nature très différente (technologique, produit, service, business model, etc.) lui ont permis d’offrir plus d’intimité, d’interactions et de sensorialité répondant ainsi aux besoins de ses clients.
Seulement ce lien avec l’innovation n’est pas toujours, du moins à court terme, gagnant. Le virage de l’Internet a conduit au piratage massif dont l’industrie pornographique a été l’une des grandes victimes ainsi qu’à l’arrêt d’activités particulièrement rentables comme le minitel rose ou les chaines de télévision payante dans les hôtels. Toutefois, l’intégration d’un ensemble d’innovations permet à l’industrie pornographique d’être en mesure de proposer toujours plus de services, d’expérience et d’interactivité et par conséquent, de s’éloigner toujours un peu plus de la simple diffusion d’image sans réelle valeur ajoutée.
Il existe toutefois une limite de taille à l’évolution des innovations, celle des mentalités. En effet, les difficultés de commercialisation de Roxxxy, le premier robot sexuel, ne sont pas liées à des problèmes technologiques ou de prix mais à des questions éthiques et morales.
 




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