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Cours d’épistémologie illustré : l’objectivité scientifique en sept chapitres


Lundi 18 Juin 2012



Il n’y a pas qu’en Sciences humaines que la question de l’objectivité est sujet à remise en question. Pendant longtemps en effet, cette caractéristique de la démarche et de la découverte scientifique a également été mise en doute au sein des sciences dures. Dans Objectivité(1), les chercheurs américains Lorraine Daston et Peter Galison rappellent ce phénomène historique de l’épistémologie des sciences et retracent ainsi la construction de l’objectivité comme critère savoir scientifique.



Cours d’épistémologie illustré : l’objectivité scientifique en sept chapitres
Lorraine Daston et Peter Galison, respectivement chercheur au Max Planck Institute et à l’Université de Harvard, sont les auteurs d’Objectivité, un essai sur l’épistémologie des sciences dont la version française est préfacé par Bruno Latour. Avec cet ouvrage, les deux chercheurs américains ont souhaité proposer une histoire du concept d’objectivité scientifique.
 
Qu’il s’agisse des Sciences dures ou des Sciences humaines, le concept d’objectivité scientifique a toujours fait l’objet de polémique. Les auteurs font remonter son existence au XVIIe siècle et en retracent la lente évolution de son sens. Ce n’est ainsi qu’au XIXe siècle que cette idée recouvre son sens de méthode d’étude scientifique. Cette méthode est alors perçue comme applicable aux sciences naturelles. L’objectivité est alors également éminemment opposée à la subjectivité et commence à s’ériger en norme avec un potentiel suffisant pour rassembler l’ensemble de la communauté scientifique.
 
Le caractère normatif du concept d’objectivité est particulièrement mis en lumière avec l’étude de différents atlas scientifiques du XIIIe siècle. À l’époque en effet, ces livres illustrés à vocation scientifique répondent à des critères de représentations de la nature inspirés du réalisme artistique. Parallèlement, les sciences naturelles s’organisent alors et cherchent à classer les êtres vivants et les objets naturels de façon à en discerner les différentes catégories.  Dans un mouvement convergeant, l’art et la science font alors se rapprocher l’action de voir l’objet et celle de le représenter ; le point focal de cette rencontre est se trouve bien sûr être l’objectivité.
 
Par la suite en revanche, le couple formé par l’art et la science se désolidarise. Au XIXe siècle en effet, l’art s’émancipe du réalisme et présente volontiers l’individualité de la démarche créative comme la condition indispensable de la valeur artistique d’une oeuvre. La communauté scientifique en revanche est alors en quête de représentation intangible de l’environnement. Cette « objectivité mécanique » telle que la décrivent les auteurs est tout à fait celle qui s’est popularisée parmi la communauté scientifique.
 
L’objectivité s’impose comme critère scientifique au cours du XIXe siècle et selon un processus d’une quarantaine d’années environ. De 1830 à 1870 en effet, l’idée se propage et sa bonne réception par la communauté scientifique, au départ peu sensible, se fait de plus en plus évidente. À l’issue de ce processus, l’objectivité devient un concept transversal, transcendant les disciplines scientifiques et s’impose donc comme faisant partie de la méthode scientifique.
 
Explorant dans les détails cette dynamique, les deux auteurs débouchent finalement sur la période contemporaine : qu’en est-il de l’objectivité aujourd’hui ? D’après Daston et Galison, le sens du concept d’« objectivité » continue d’évoluer et de se distinguer progressivement des schémas précédant sans pour autant exclure l’usage de l’image. En effet, le savoir objectif s’appuierait aujourd’hui largement sur la capacité de créer des représentations ad hoc de façon à soutenir une thèse. Pour les deux auteurs donc : « l’image scientifique est en passe de se défaire complètement de sa dimension de représentation et d’acquérir le pouvoir de faire ». À l’ère du tout informationnel, l’objectivité est donc aussi une affaire de conviction et de communication d’après ces auteurs.
 
Objectivité est un essai retraçant l’historique d’un concept au contour fluctuant. Par essence donc, la tâche des auteurs s’avère difficile. Lorraine Daston et Peter Galison tentent ainsi de donner du sens à l’évolution de la définition de l’objectivité en procédant d’études de cas. Mais si cette méthode permet de mettre efficacement en exergue certains phénomènes appartenant à l’histoire du concept, elle ne permet pas toutefois de grande généralisation quant aux tendances qui ont pu façonner son évaluation. À cet égard, la thèse des deux auteurs sur ce qui compose les critères contemporains de l’objectivité relève plus du partage d’opinion stimulant pour le lecteur curieux plus que d’une véritable conclusion scientifique. Il apparaît en effet délicat d'établir un parallèle fort entre les conclusions tirées de l'étude d'atlas datant du XVIIIe siècle et celles présentées sur à partir de l'étude de sites internet contemporains. La diversité des démarches et des supports dans le temps semble ainsi être un obstacle infranchissable pour la démarche des deux auteurs. Rédigé par deux chercheurs éminents, Objectivité n’en reste pas moins un support particulièrement digeste en vue d’aborder une des questions épistémologiques les plus centrales pour le savoir scientifique sans rien ôter à sa complexité du sujet.
 
(1) DASTON, L., GALISON, P., Objectivité, 2012, Presses du réel (les), Col. Fabula, 576 pp..










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