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L'AUKUS cherche-t-il à contrôler le Pacifique sans la France ?


La Rédaction
Jeudi 16 Mars 2023



L’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis viennent de dévoiler le 13 mars leur programme de sous-marins à propulsion nucléaire pour les décennies à venir. L’affaire des sous-marins à propulsion nucléaire que souhaitait se procurer l’Australie avait défrayé la chronique à l’automne 2021 lorsqu’une nouvelle alliance appelée AUKUS, avait été constituée en septembre de la même année par Washington, Londres et Canberra. La France, pourtant riveraine du Pacifique et détentrice du deuxième domaine maritime mondial, en avait été écartée ce qui avait mécaniquement conduit le gouvernement australien à privilégier la nouvelle alliance au contrat de sous-marins à propulsion classique conclu avec Paris.



La zone Indo-Pacifique s’est désormais installée sur la scène internationale, sur toile de fond de tensions sino-américaines croissantes et sous l’ombre portée d’une Chine ne se contentant plus d’être un Empire du Milieu. La mise en place de l’AUKUS pourrait avoir pour effet de réintroduire une politique de blocs, selon un schéma hérité de la guerre froide, et elle s’inscrit en tout cas dans une approche anti-Pékin.
 

Les grandes manœuvres stratégiques dans la zone Indo-Pacifique sont également susceptibles d’être indirectement affectées par la guerre en Ukraine. Dans ce conflit majeur sur le continent européen, la Chine avait l’occasion de montrer que son nouveau statut de puissance mondiale lui conférait des responsabilités particulières et qu’elle les assumait entièrement. Tel n’a pas été le cas dans une affaire impliquant, il est vrai, un autre membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Pékin n’est pas sortie de l’ambiguïté en sa faveur, d’un point de vue occidental tout au moins, notamment dans ses relations avec la Russie. Au contraire, l’impression donnée fut celle d’un rapprochement de Pékin avec l’Etat agresseur.
 

Son image n’est donc pas ressortie jusqu’à présent rehaussée et cela peut expliquer en partie les initiatives récentes de la Chine en faveur d’un « plan de paix » pour l’Ukraine. Quoi qu’il en soit, ces développements ne seront pas non plus sans effet dans le traitement des questions de défense dans la zone Indo-Pacifique.


Un coup de Jarnac surmonté

Le revirement de l’Australie, à propos du contrat avec la France pour la fabrication et la maintenance de 12 sous-marins à propulsion classique, avait provoqué surprise et consternation. L’affront avait été mal vécu par les autorités françaises et le ministre des Affaires étrangères – qui était ministre de la Défense lors du choix de DCNS en 2016 comme « preferred bidder » au détriment de concurrents japonais et allemands – avait immédiatement réagi en dénonçant « un coup de poignard dans le dos ». Il avait estimé qu’il s’agissait d’une « décision unilatérale, brutale, imprévisible, qui ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump ». La ministre de la Défense avait estimé de son côté qu’il s’agissait en réalité, au-delà des aspects commerciaux, d’une remise en cause sans concertation d’un partenariat stratégique avec l’Australie. En effet, c’est en février 2019 que Naval Group – héritier depuis 2017 de la Direction des Chantiers Navals (DCNS) – avait conclu un tel partenariat. La question de la propriété de la technologie et celle de l’ampleur de la coopération industrielle avaient alors été réglées directement par le président Macron et le Premier ministre australien Scott Morrisson, en marge d’un G20.
Le coup fut aussi durement ressenti dans les ateliers de Cherbourg à l’annonce de la perte de ce qui avait été considéré comme « le contrat du siècle » en matière d’exportation d’armements. Il s’agissait en effet d’un contrat portant sur douze sous-marins de la classe Barracuda et de leur maintenance pendant une période de cinquante ans. À Cherbourg, 500 personnes – sur un millier déjà concernées par le programme en France et en Australie – étaient déjà mobilisées, dont une centaine d’Australiens sans compter leurs familles. L’installation de ces dernières, y compris la question de la scolarisation des enfants, avait été réglée depuis plusieurs années.
Mais le coup de Jarnac ressenti à Paris doit être relativisé. Il serait étonnant que les spécialistes du dossier n’aient pas enregistré la « petite musique » venue de Canberra dès les derniers mois de 2019 sur le thème : « la rapidité des changements dans la région a été sous-estimée ». Ces réflexions sont aujourd’hui la base de l’argumentation du gouvernement australien pour laisser entendre que les sous-marins, s’ils avaient été construits avec la France, n’auraient pas été assez rapides, furtifs ou auraient manqué d’autonomie par rapport aux avantages procurés par la propulsion nucléaire.










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