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L’Europe face à l’arme gazière : comment s’approvisionner sans vendre son âme


La Rédaction
Lundi 27 Novembre 2023



Russie/Ukraine, Azerbaïdjan/Arménie, et maintenant Israël/Hamas... Après quelques années de relative sérénité des marchés, une conjonction de crises et de tensions internationales est venue sérieusement compliquer l’approvisionnement en gaz des pays européens, aujourd’hui à la recherche de solutions alternatives ne créant pas de trop grandes dépendances vis-à-vis de certains pays...



FSRU Toscana, une installation italienne offshore de regazeification du GNL (Wikimedia Commons_Wallacepc67)
FSRU Toscana, une installation italienne offshore de regazeification du GNL (Wikimedia Commons_Wallacepc67)
Moins de 48 heures après l’attaque terroriste surprise du Hamas contre Israël, le 7 octobre, les cours du pétrole ont augmenté de près de 5 %, tandis que le prix du gaz a bondi de 12 %. Après l’invasion russe en Ukraine, puis le conflit en Azerbaïdjan, c’est donc aujourd’hui la guerre au Proche-Orient qui menace de créer une nouvelle zone de turbulence et d’incertitude sur les marchés de l’énergie. Le 12 octobre dernier, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, alertait ainsi sur le risque de conséquences « lourdes » sur les prix de l’énergie en cas d’extension et d’escalade géopolitique du conflit. Une éventualité qui pourrait créer de nouvelles perturbations sur l’approvisionnement en hydrocarbures. Déjà, le géant américain Chevron a suspendu les activités de sa plateforme gazière Tamar, située au large des côtes israéliennes, sur instructions du gouvernement de l’Etat hébreu.
 
Une série de crises géopolitiques
 
La série continue, donc : depuis 2021, les crises se sont multipliées, se nourrissant entre elles et s’inscrivant dans la durée. Après l’agression de l’Ukraine par la Russie à partir de février 2022 et l’embargo décidé par les pays de l’Union européenne et du G7, le découplage d’approvisionnement brutal avec la Russie a fait flamber les prix du pétrole, du gaz, de l’électricité et du charbon. Et cette situation continue aujourd’hui d’entretenir une extrême volatilité, malgré la baisse enregistrée depuis fin septembre sur fond de craintes sur la demande au regard des difficultés macroéconomiques. La hausse des prix de l’énergie a aussi été entretenue par le choix de l’Arabie Saoudite et de la Russie, alliés depuis 2016 au sein de l’OPEP+, de baisser leur production afin de soutenir les cours, malgré les demandes d’augmentation des Etats-Unis et de l’Europe.
 
L’année 2022 a été marquée par un bouleversement extraordinaire des marchés gaziers et des rapports de force. Progressivement privée de gaz russe acheminé par gazoduc au lendemain du début de la guerre russo-ukrainienne, l’Europe a cherché des alternatives, se tournant notamment vers les Etats-Unis (même si le gaz de schiste US est beaucoup plus cher que le gaz russe et suscite des réticences environnementales), mais aussi vers le Qatar et l’Azerbaïdjan.
 
Le Qatar possède en effet près de 10 % des réserves mondiales de gaz et a reçu en 2022 la visite de plusieurs dirigeants européens – dont le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz – dans le but de négocier des accords de livraison de gaz naturel liquéfié (GNL). Des contrats de longue durée (15 à 20 ans) qui sécurisent des revenus stables pour le Qatar durant de nombreuses années à partir de 2026, date à laquelle les projets d’extension du champ offshore North Field, le plus grand champ gazier du monde situé entre le Qatar et l’Iran, devraient être finalisés. Mais la tension qui monte au Moyen-Orient rend ce choix de plus en plus discutable. Le Qatar est en effet proche des Frères musulmans, héberge les dirigeants politiques du Hamas, et finance largement ce mouvement islamiste.
 
La hausse des importations de gaz d’Azerbaïdjan met aussi l’Europe dans l’embarras, à l’heure où l’offensive militaire du régime de Bakou dans le Haut-Karabakh a conduit à l’exode de plus de 100.000 Arméniens de l’enclave. L’Union européenne a en effet signé, en juillet 2022, un nouvel accord sur le gaz avec l’Azerbaïdjan, visant à doubler les exportations gazières vers l’UE d’ici à 2027.
 
L’Afrique, une vraie alternative
 
Présenté douze jours à peine après le déclenchement de l’invasion russe et adopté le 19 mai 2022, le plan REPowerEU de la Commission européenne consiste, pour se passer du gaz russe, à développer les énergies renouvelables, la sobriété énergétique et le biométhane, mais aussi à diversifier l’approvisionnement en gaz, grâce à une augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) et par gazoduc en provenance des fournisseurs non russes. Mais si l’Europe ne veut pas se retrouver sous la menace de l’arme gazière, que pourraient brandir la Russie, l’Azerbaïdjan ou le Qatar, elle doit chercher de nouvelles sources d’approvisionnement et se tourner notamment vers l’Afrique.
 
Le plan REPowerEU dessine ainsi d’évidentes opportunités pour le continent africain, qui assurait jusqu’ici à l’Europe un peu plus de 10 % de sa consommation gazière – contre près de 40 % pour la Russie. Selon une étude du cabinet de conseil norvégien Rystad Energy, les capacités de production de gaz devraient doubler d’ici à 2030 sur le continent… Et à cet horizon, l’Afrique pourrait produire l’équivalent de 75 % de la production de gaz actuelle de la Russie.
 
Depuis l’invasion de l’Ukraine, les pays les plus dépendants des livraisons de Moscou se sont ainsi ostensiblement tournés vers les exportateurs africains, effectifs ou à venir. L’Italie a signé un accord permettant d’augmenter de 40 % environ les importations de gaz algérien, puis a fait de même en Angola et en République du Congo. Première cliente européenne du gaz russe, l’Allemagne est, elle, allée faire les yeux doux au Sénégal, dont les champs partagés avec la Mauritanie dans l’Atlantique devraient produire 2,5 millions de tonnes de GNL par an à partir du dernier trimestre 2023, puis 10 millions à partir de 2030. Le Nigeria, qui développe également de nouveaux projets pour augmenter ses capacités, est aussi très courtisé. Mais l’une des promesses les plus importantes pour l’avenir se situe sans doute au Mozambique.

De gigantesques gisements gaziers ont en effet été découverts dans ce pays au début des années 2010. Les ressources atteindraient près de 5.000 milliards de m3 de gaz naturel, ce qui doterait le Mozambique des neuvièmes réserves de gaz au monde , proches de celles de l’Algérie et du Nigeria. Ces réserves se concentrent sur deux blocs offshore, situés dans le bassin du Rovuma, au large de la province de Cabo Delgado, à proximité de la frontière tanzanienne : le bloc 4, exploité par l’Italien Eni et l’Américain ExxonMobil, et le bloc 1, le plus important, opéré par le consortium Mozambique LNG, réunissant des opérateurs indiens, japonais et thaïlandais et le Français TotalEnergies.

Pour l’heure, suite à des attaques terroristes qui ont contraint les opérateurs à suspendre ou à réorganiser leurs activités, seule l’unité de liquéfaction offshore Coral Sul d’Eni est en fonctionnement, avec une production estimée à 3,4 millions de tonnes de GNL par an. Mais, à terme, avec le projet Mozambique LNG, dont les travaux devraient reprendre d’ici la fin de l’année, les capacités de production du Mozambique sont estimées à 13 millions de tonnes par an. Une production future qui intéresse fortement les pays européens, mais aussi asiatiques.
 
Ces derniers, qui cherchent à s’affranchir du charbon sur la route de la transition énergétique, restent en effet les principaux soutiens de la demande mondiale. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la hausse de la demande globale de gaz (de 1,6 % par an entre 2022 et 2026) sera en effet concentrée dans les marchés asiatiques à croissance rapide et dans certaines économies riches en gaz du Moyen-Orient et d’Afrique. À elle seule, la Chine devrait représenter près de la moitié de la croissance totale jusqu’en 2026. La concurrence sera donc rude pour les Européens.
 
               




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