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Refus d'obtempérer, choix de mort


Landry Richard
Mercredi 24 Août 2022



Comment la gendarmerie doit-elle agir lors d’un refus d’obtempérer ? Pour protéger les citoyens, les gendarmes doivent parfois faire le choix entre leur vie et celle du conducteur. Loin de pouvoir être uniquement régi par le droit, c’est en une fraction de seconde que ceux qui nous protègent doivent prendre une décision complexe et parfois mortuaire...
Auteur de « Dans la tête de ceux qui nous protègent » (VA Éditions) Landry Richard nous emmène au cœur de ce dilemme et nous partage le témoignage d’un Gardien de la paix.



La nuit vient de tomber en cette fin de journée d’hiver. Nous sommes prêts à débuter un grand contrôle de police de la route avec mon peloton. Nous sommes alignés au bord de la route parés de nos gilets réfléchissants, lampes à la main, un gendarme du PSIG est positionné en couverture à 50 mètres avec une arme longue. Sa mission est de nous protéger, au cas où… Quelques jeunes engagés composent les rangs du peloton et mon rôle est de faire en sorte que tout se passe bien, en sécurité. Nous le savons bien, lorsque la nuit tombe en fin de journée, « entre chien et loup », c’est le moment le plus dangereux. La visibilité baisse, les gens sortent du travail ou de l’apéro, c’est le moment où les taux d’alcoolémie sont souvent au-delà de la limite autorisée, c’est le moment où parfois, les conducteurs sont l’emprise de stupéfiants.
 
Je rappelle à chacun les postures réglementaires, l’importance de ces gestes d’arrêt afin de bien être vu par les automobilistes que nous allons contrôler. La sécurité de tous est mon enjeu principal. Je rappelle également qu’il n’est pas question de trop s’engager sur la chaussée, car en cas de refus d’obtempérer, l’automobiliste ne doit pas pouvoir foncer dans le gendarme qui procède à l’arrêt du véhicule et qui sera l’élément de contrôle. Je rappelle également l’importance de l’unilatéralité des positions, car en cas d’ouverture du feu, il ne faudrait pas se retrouver face à un camarade et risquer de le toucher accidentellement.
 
L’ouverture du feu. Ce sujet si impensable, si tabou. Ce sujet est si sensible qu’il n’est parfois même pas abordé par les chefs de dispositif. Comme si cette éventualité n’était pas envisageable, comme si cela n’arrivait qu’aux autres, ailleurs. Pourtant, il y a quelques jours, dans la nuit de jeudi à vendredi à Vénissieux, en banlieue lyonnaise, deux hommes ont perdu la vie lors d’un contrôle routier. Ce soir vers minuit, les policiers décident de contrôler les passagers d’un véhicule signalé volé. Au moment où les policiers se sont approchés du véhicule, celui-ci à démarrer en fonçant vers les forces de l’ordre percutant l’un deux. L'un des agents a alors fait usage de son arme et tiré en direction du véhicule. Le conducteur de 26 ans, originaire d'Annecy, a été touché à la tête et le passager de 20 ans a également été atteint par les balles et est mort des suites de ses blessures. D'abord dans un état grave, puis dans un état de mort cérébrale, le conducteur est mort « ce vendredi en fin de soirée », selon le parquet de Lyon. 
 
Il est facile, hors cadre et après-coup de « refaire le match ». L’action, le moment où il faut décider, la fraction de seconde qui nous est laissée, le moment où il faut décider entre vie et mort, entre tirer et ne pas tirer, ce moment est très court, toujours trop court pour prendre une décision éclairée par l’ensemble des lumières contextuelles, juridiques et humaines. Pas le temps de réfléchir lorsqu’il faut choisir entre se faire tuer et tuer. La seule certitude pourrait-être la suivante : Du célèbre adage, « Mieux vaut être jugé par 12 que porté par 6 » de Robert Paturel : « Celui ou celle qui fait le choix délibéré de ne pas obtempérer, de foncer sur les policiers, les gendarmes ou les douaniers, fait le choix éclairé et délibéré de la mort, de la sienne ou de celle d’autrui ». Et pourtant…
 
Ce soir d’hiver pendant notre contrôle routier, nous voyons une voiture arriver au loin. Une 208 de couleur bleue. La voiture ralentie très fortement en nous apercevant, elle est presque à l’arrêt à une centaine de mètres du poste de contrôle. Le gendarme chargé des gestes réglementaires est aux aguets, tout le monde se demande pourquoi ce véhicule se comporte étrangement. Dans nos têtes, la conclusion est évidente, ce véhicule va refuser le contrôle et forcer le barrage, c’est un comportement caractéristique. Je crie « Attention ! », tout le monde se tient prêt, le gendarme pratique les gestes réglementaires et en arrivant à sa hauteur le véhicule reprend une vive accélération pour prendre la fuite j’entends crier « Halte ! Gendarmerie ! ». Le gendarme a juste le temps de sauter sur le côté pour ne pas se faire percuter, l’élément d’appui positionné plus loin braque son arme vers le véhicule, mais prends la décision de ne pas tirer. Les gendarmes du PSIG prennent alors en chasse le véhicule, à vive allure, et ne mettront que quelques minutes pour réussir à l’intercepter. À bord du véhicule, une femme en panique, elle pleure, elle tremble. Cette femme à forcer le barrage, car elle avait oublié son permis de conduire à la maison. Elle a eu peur, peur des gendarmes, peur de prendre une contravention, peur de ce que son mari allait lui dire. Cela méritait-il une balle en pleine tête ? Je ne crois pas.
 
Ultima Ratio Regum. La formule date de Louis XIV et signifie « Le dernier argument du roi ». Formule guerrière s’il en est, elle était la citation favorite du cardinal de Richelieu et le roi soleil, la reprenant à son compte l’a fait inscrire sur les canons d’artillerie. Elle pose un concept : Là où sont épuisés les moyens pacifiques et la diplomatie fasse à l’ennemi, s’il ne reste aucune solution raisonnable, le recours à la force est alors l’ultime recours de l’autorité. Mais cette fois il était raisonnable de laisser filer ce véhicule, de ne pas tirer sur cette femme en panique.
 
Cependant, décider dans l’incertitude, faire le choix de sauver sa vie ou de celle de ses collègues n’est jamais une évidence. La légitime défense qui se décide au moment de la montée d’adrénaline que provoque l’immédiateté d’une situation extrêmement stressante. Que se passe-t-il dans la tête de celles et ceux qui nous protègent ? Quelqu’un a-t-il encore dit que la police tue ? Pour un policier, un gendarme ou un douanier, le risque de devoir utiliser son arme dans sa carrière est proche de zéro. Dans le cas des refus d’obtempérer (26 320 en 2021 selon le ministère de l’Intérieur) les policiers et les gendarmes ont fait usage de leur arme dans 0,76% des cas.
 
Dis de cette façon (0.76% des cas), ça ne paraît presque jamais. Mais en réalité, en France, cela représente 200 ouvertures du feu en une année, soit un peu plus d’un tir, un jour sur deux où l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure a été évoqué dans ses alinéas 11 et 42. C’est beaucoup, c’est trop. Non pas que ceux qui nous protègent utilisent trop leurs armes non ! Il s’agit de souligner qu’à 200 reprises en 2021, la conjonction de circonstances qui ont conduit les forces de l’ordre à faire le choix ultime de l’ouverture du feu, et de ses conséquences. Cela signifie que des conducteurs de véhicules ont provoqué des enchaînements de situations qui ont conduit au choix de mort. On notera aussi que le tir vers un véhicule en mouvement est complètement aléatoire dans sa trajectoire. Certains demanderont pourquoi ne pas viser les pneus (comme dans les films !) ? Même si le tireur était surentraîné, (ce qui n’est pas nécessairement le cas chez les acteurs de la sécurité publique en situation de contrôle routier), l’impact du tir pourra toucher le conducteur, le passager, le bloc moteur… ou ne rien toucher… Les études balistiques montrent que dès lors qu’une balle touche un objectif, elle est immédiatement déviée de sa trajectoire si elle n’est pas stoppée. La seule certitude c’est que le choix d’utiliser son arme est celui de peut-être enlever la vie, le choix de mort.
 
« Être confronté aujourd'hui à un refus d’obtempérer dans le cadre de nos fonctions est le risque de tout perdre en quelques secondes. Le risque de perdre la vie, de se retrouver blessé ou être mis en examen pour la décision qui a été prise durant l’infime seconde que nous avons pour agir. Les risques sont d'autant plus grands que les refus d'obtempérer ne cessent d'augmenter sur le territoire français. Aujourd'hui, on renverse un représentant des forces de l'ordre pour un défaut d'assurance ou une infraction minime !
Coté pénal notamment, je pense qu’il faut réfléchir à comment dissuader les auteurs de ces faits.
Il est particulièrement difficile de devoir exercer avec cette boule au ventre lors d'un contrôle routier et se demander à quel moment le refus d’obtempérer va avoir lieu et appréhender la finalité de ce dernier.
Notre devoir est de rentrer vivant auprès des nôtres et non être décorés à titre posthume. »
Témoignage de Mathieu H, Gardien de la paix à Paris
 
Personne ne souhaite cette situation, aucun policier, aucun gendarme, aucun douanier ne souhaite enlever la vie, ne souhaite faire feu sur un véhicule qui force un contrôle routier. Aucun de ceux qui nous protègent ne souhaite porter le poids moral d’avoir donner la mort et ses conséquences, la garde à vue, le retrait du service actif, le poids médiatique et le poids politique. La prudence reste de mise et le choix appartient à chacun. Choisir de refuser le contrôle, choisir de foncer délibérément vers ceux qui nous protègent, choisir d’ouvrir le feu. Des choix dont la conséquence est inévitable.
 

1 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui.
2 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui.











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