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L’intelligence économique chinoise : une réelle menace ?


Corentin Schutz
Mercredi 26 Juillet 2023



En mars 2017, Hua, un ingénieur américain d’origine chinoise de la filiale aviation de General Electrics reçut une invitation LinkedIn d’un officiel chinois de la Nanjing University of Aeronautics and Astronautics.



Ce dernier, en apparence très intéressé par ses travaux de recherche, l’invita à venir sur le campus pour un colloque. L’ingénieur, ayant toujours été désireux d’inscrire son parcours dans une dimension universitaire plus fondamentale, accepta sans vraiment réfléchir. Il était même honoré d’être reconnu par des experts de son pays natal.  

Hua était toutefois conscient que cela pouvait être problématique vis-à-vis de son employeur mais n’était décidé à parler que de ses travaux de recherche sur les matériaux composites et ne comptait en aucun cas évoquer ses activités chez General Electrics. Après la présentation, il reçut de la part de l’officiel 3500 dollars en cash en guise d’honoraires et de dédommagement pour les billets d’avion.

Quelques mois après son retour aux Etats-Unis, Hua fut convoqué par General Electrics pour l’interroger sur son voyage en Chine resté jusqu’alors secret. En réalité, ce n’était pas seulement General Electrics mais aussi le FBI qui voulait en apprendre davantage. Hua comprit rapidement qu’il était piégé. Il avait téléchargé illégalement des documents de formation appartenant à son employeur et, bien que n’ayant rien divulgué de sensible, il avait été rémunéré par une puissance étrangère pour cela.

Le FBI lui proposa un marché ; le libérer de toutes les charges qui pesaient contre lui à la condition qu’il rejoigne le contre-espionnage américain. Au pied du mur, Hua accepta ce qui permit d’arrêter quelques mois plus tard des espions chinois qui furent extradés et jugés sur le sol américain.

Cette histoire présentée dans un article du New York Times Magazine publié en mars 2023 est révélatrice de la stratégie d’intelligence économique actuellement poursuivie par les entreprises du pays et l’État chinois lui-même.

Pour prendre la mesure des pratiques chinoises en matière d’intelligence économique, il convient de revenir sur le contexte actuel de la relation sino-occidentale. Sous l’administration Trump, les liens diplomatiques se sont extraordinairement tendus entre les deux pays. La Chine était présentée comme un État voyou sans foi ni loi qui ne respectait aucune des règles élémentaires du commerce qu’elle avait pourtant acceptées en rejoignant l’OMC en 1995.

La relation ne s’est pas améliorée après l’arrivée au pouvoir du président Biden. La réaction américaine face au survol récent du territoire américain par de mystérieux ballons vraisemblablement espions en témoigne.

Dans sa diplomatie, la Chine ne se conçoit pas véritablement d’alliés. Elle ne connait que des relations de partenariats économiques et politiques et se refuse à jouer selon des règles imposées par des tiers. Le gouvernement chinois ne se donne qu’un seul rôle ; maximiser la prospérité du peuple et mettre tout en œuvre pour réaliser cet objectif. Il en va en effet de sa propre survie. Le pacte social chinois repose sur la croissance économique du pays. Tant que les générations actuelles auront l’impression de mieux vivre que les générations précédentes, le Parti Communiste Chinois survivra.
 

L’intelligence économique peut être définie comme une pratique consistant à collecter, analyser et utiliser des informations économiques pour améliorer la compétitivité d'une entreprise ou d'un pays. L'IE est devenue une préoccupation majeure pour de nombreux gouvernements et entreprises à travers le monde, et la Chine n'est pas une exception. Toutefois, l’intelligence économique chinoise est particulière à bien des égards. Le pays dépend fortement des exportations pour maintenir sa croissance économique.

Par conséquent, la Chine a mis en place une stratégie d'IE qui vise à protéger ses entreprises contre les menaces économiques étrangères, notamment la concurrence déloyale, la propriété intellectuelle, les cyberattaques et les espions économiques. Des lois strictes ont été promulguées pour protéger ses secrets économiques et des organismes ont été créés pour surveiller les activités économiques étrangères. L'amélioration de la compétitivité des entreprises chinoises est également une priorité pour le gouvernement chinois. La Chine a mis en place des politiques pour soutenir les entreprises locales et propose des programmes de formation pour aider les entreprises à améliorer leur compétitivité.

Pékin encourage également l'innovation en développant des centres de recherche et développement, en offrant des subventions et en instituant des politiques fiscales favorables. En somme, la Chine se distingue par des liens très forts entre acteurs politiques et économiques. L’IE chinoise est donc en cela particulière ; monde économique et monde politique ne sont pas séparés.
 

En Chine, il faut penser ces deux univers comme un seul car les réseaux les liant sont plus puissants que nulle part ailleurs. Le réseau social TikTok en est le parfait exemple. A la suite d’une loi adoptée en 2017, la plateforme chinoise a l’obligation totale de collaborer avec le gouvernement si celui-ci en fait la demande. Les garde-fous européens en matière de RGPD ne trouvent évidemment pas leur équivalent en Chine. Recueillir des informations sur des agents économiques étrangers est donc pour le moins aisé pour les renseignements chinois et in fine les entreprises du pays qui peuvent bénéficier des données collectées. La frontière entre espionnage et intelligence économique y est clairement plus ténue. 
 

L’intelligence économique chinoise se distingue aussi par les réseaux que la Chine déploie dans le monde entier. A l’instar de l’histoire introductive de cet article, le gouvernement peut facilement mobiliser sa diaspora pour servir ses propres intérêts, que ses expatriés soient volontaires ou non. Avec 548 antennes disséminées dans quelques 154 pays à travers le monde, les instituts Confucius ont récemment été accusés d’être utilisés par le PCC pour surveiller et parfois contraindre les ressortissants chinois.

Ces instituts sont des puissants relais du soft-power chinois et constituent un outil précieux pour la stratégie d’intelligence économique du pays. Le gouvernement a développé au cours des dernières décennies de nombreux partenariats avec les universités occidentales ce qui a permis d’assoir une certaine légitimité. Avec le projet des nouvelles routes de la soie porté par le président Xi Jinping, la Chine devrait encore renforcer sa présence dans les tissus économiques occidentaux. La tendance actuelle est claire : les yeux de Pékin sont partout et les murs ont toujours plus d’oreilles.
 

Le temps est venu pour les Européens d’agir pour leur souveraineté économique. Si les Américains semblent conscients de la menace qu’ils instrumentalisent même souvent, ce n’est pas vraiment le cas des Européens. L’Union européenne accueille volontiers les investissements chinois sur son sol et de nombreux pays rêvent que les nouvelles routes de la soie passent par chez eux. De nombreux grands groupes investissent également en Chine en prenant des risques importants.

Récemment, le géant allemand de la chimie BASF a annoncé vouloir faire le pari chinois en y installant des usines. Au-delà du risque d’espionnage industriel évident, cette multiplication des possibilités d’échanges est du pain béni pour l’intelligence économique chinoise dont les grandes heures sont définitivement encore à venir. 
 










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