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La porcelaine : quand la France espionnait la Chine au 17ème siècle


Louis Vivies
Mercredi 12 Juillet 2023



S’il est aujourd’hui su par tous et largement documenté que la Chine a en partie fondé sa croissance depuis les années 1980 sur des transferts technologiques et industriels massifs au détriment des pays développés, il est en revanche moins connu qu’elle a elle-même été la première victime de ces pratiques que l’on qualifierait anachroniquement aujourd’hui d’ « espionnage industriel » au sujet d’un des secrets les mieux gardés de l’Empire du Milieu : celui de la fabrication de la porcelaine.




A l’origine, quand la fièvre de la porcelaine envahissait l’Europe

À la suite des voyages en Orient de Marco Polo et de l’établissement des premiers comptoirs et compagnies commerciales notamment portugaises, hollandaises et anglaises dès le 15ème siècle en Chine, l’Europe tout entière se lance dans le commerce avec l’Empire du Milieu.

La France de Colbert crée en 1664 la Compagnie des Indes Orientales qui possède un privilège royal de commerce avec la Chine. Fascinés par les civilisations et les arts orientaux, les Européens développent un goût particulier à partir de la fin du 17ème siècle pour ce qui est alors nommé les « chinoiseries ». La porcelaine, céramique dure et translucide, majoritairement utilisée dans les arts de la table est au cœur de cette nouvelle mode et séduit les cours ainsi que la noblesse européenne, à tel point qu’Auguste Le Fort, prince-électeur de Saxe et roi de Pologne se fait construire à Dresde un palais « japonais » destiné à abriter sa collection de plus de 2000 pièces de porcelaine. 

Ce matériau, dont la fabrication est maitrisée par les Chinois dès le 2ème siècle avant J.C, demeure extrêmement couteux pour les Européens qui, malgré de nombreuses tentatives pour l’imiter échouent à l’égaler. En effet, par méconnaissance et indisponibilité des matériaux la constituant, les Européens n’arrivent à produire eux-mêmes que de la porcelaine dite « tendre » aux piètres qualités comparées à celle chinoise dite « dure ».

Dès lors s’engage une course entre nations européennes pour percer le secret si bien gardé de la composition et de la fabrication de la porcelaine en vue de s’approprier ce si lucratif marché.  Les royautés européennes se servent donc à la fois des réseaux commerciaux et missionnaires agissant en Chine pour obtenir les renseignements recherchés à une époque où les communications ne sont que manuscrites, les voyages entre l’Empire et l’Europe durent au moins trois semaines et les sociétés asiatiques demeurent très hermétiques. Il s’agit donc bien ici de l’apparition des premiers réseaux européens d’observation stratégique si ce n’est d’espionnage en Asie.

Un espion en soutane

Dans cette compétition européenne, c’est la France qui la première élucida le mystère de la fabrication chinoise de porcelaine grâce aux informations transmises par un espion pour le moins inattendu.

En effet, c’est le père jésuite Francois-Xavier d’Entrecolles qui livra le premier en 1712 dans ses « Lettres édifiantes et curieuses », adressées à son supérieur le père François Orry, trésorier des missions jésuites en Chine, des informations précises et détaillées sur la composition de la pate de porcelaine, le mélange des matériaux, sa cuisson et son séchage ainsi que sur les chaines complexes d’assemblage permettant une production rapide. L’ingrédient essentiel manquant aux européens pour transformer leur production de porcelaine « molle » en porcelaine « dure » est enfin révélé : il s’agit du Kaolin, sorte d’argile blanche et friable que l’on trouvait en abondance dans la province du Jiangxi en Chine.

Or, c’est à Jingdezhen, capitale de cette province et principal centre de production de porcelaine en Chine, qu’est envoyé en 1698 le père d’Entrecolles au nom de la Compagnie de Jésus, chargé d’observer les mœurs et coutumes locales ainsi que de l’évangélisation du pays. Mais selon l’historien Robert Finlay, celui-ci a été délibérément envoyé à Jingdezhen par ses supérieurs de la Compagnie, eux-mêmes missionnés par le Régent Philippe d’Orléans et le physicien Réaumur pour percer ce secret.

Dans ce but, il se serait servi de ses ouailles de sa paroisse de King-to-tchenn parmi lesquels étaient de nombreux ouvriers des manufactures de porcelaine pour obtenir un droit de visite régulier ainsi que des explications techniques, informations de première main, obtenues en « source ouverte » grâce à l’ascendant moral qu’il exerçait sur eux.

Il était l’informateur parfait en somme : non seulement il obtenait ses renseignements par des confidences volontaires mais en plus il pouvait les vérifier, les enrichir et les illustrer grâce à un droit d’accès aux manufactures. Son rôle très particulier au service des intérêts du royaume est d’autant plus manifeste que dix ans plus tard, à la demande de ses supérieurs, il envoie une autre lettre complétant les informations données dans la première et décrivant les techniques de finition et d’embellissement des objets.


Evidemment, sa mission d’observation ne se limitait pas du tout à cet « espionnage industriel » précoce et il fit aussi connaitre en Europe d’autres aspects de la cultures chinoise en matière de médecine et de botanique notamment par le biais d’échanges manuscrits réguliers avec son ordre. 
 










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