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Ils ont rêvé leur entreprise


Lundi 30 Septembre 2013



Créer une entreprise commence souvent par un désir fou, un rêve improbable. Puis lorsque le projet est mûr et prend corps, reste à se jeter à l’eau. Il faut de la ténacité, de l’acharnement, parfois un peu de chance. Mais surtout une volonté d’airain pour donner vie à ses convictions.



À un siècle d’intervalle, deux hommes aux destins complètement différents ont mis les mêmes mots ou presque sur la même ambition. Le premier s’appelle Pierre Curie. Avec son épouse, Marie, il a inscrit son nom au fronton de la physique moderne. Et décrit dans son carnet entre trois chiffres et deux équations son aspiration intime : « il faut faire de sa vie un rêve et faire d’un rêve une réalité ». Le second est un des écrivains majeurs du 20e siècle finissant et de l’aube du 21e. Dans l’Alchimiste, ce conte philosophique paru en 1994 en France qui retrace l’itinéraire spirituel d’un jeune berger espagnol, Paulo Coelho écrit : « c’est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante ».

Ils ont rêvé leur entreprise

Rêver ou faire ?

Non, disent à l’unisson ces deux hommes que rien d’autre que la passion ne rapproche. Il s’agit au contraire de rêver pour faire. La règle de vie ne vaut pas seulement pour les artistes, les créateurs, les chercheurs… Avec un peu de curiosité, lorsque l’on retrace le destin des grands chefs d’entreprise, on constate dans leurs propos que tous ont été portés par un rêve qu’ils ont su transformer en réalité. La vie économique ne se résume pas au seul profit ou à la seule rentabilité : elle se nourrit d’audace et de paris risqués, elle est faite de rêves traduits en actes.
 
« J’ai toujours eu l’ambition d’apporter une contribution technologique utile et capable d’améliorer la vie des hommes », confesse volontiers Jean-Michel Germa, fondateur de la Compagnie du Vent et précurseur de l’énergie éolienne. Son parcours d’étudiant aurait pu le conduire à l’enseignement : docteur en physique, il est dans les années soixante-dix un des premiers à s’interroger –et à croire- dans les énergies alternatives, éclairé par les rencontres qu’il fait au cours de voyages aux Etats-Unis ou au Danemark. Dès lors, très logiquement, fonder sa propre société devient pour Jean-Michel Germa le moyen évident de mettre en pratique ses convictions.
 
« Le groupe SOS, c’est la conjonction de mes expériences dans le privé et le public. C’est ici que j’ai réussi à réunir les deux sujets qui me tiennent le plus à cœur : la recherche de l’intérêt général et la solidarité », explique de son côté Jean-Marc Borello, créateur d’une des entreprises phares de l’économie sociale et qui dirige quelque 10 000 salariés. Michel Hervé, qui a développé le groupe Hervé, spécialisé dans le génie thermique, complète : « Ce qui compte, ce n’est pas l’argument d’autorité, mais l’autorité des arguments. Entreprendre me rendait heureux et je me suis demandé si ça pouvait faire plaisir aux autres… »

Heureux, bonheur, plaisir, solidarité

Autant de mots qui il y a quelques années encore auraient pu sembler incongrus ou déplacés dans le monde l’entreprise. Autant de notions très personnelles, peu ou pas quantifiables et qui pouvaient sembler inadéquates dans une économie mondialisée. En réalité, par une subtile évolution, s’est créée une nouvelle « confrérie » de patrons, pour lesquels les convictions sont un élément déterminant de la démarche entrepreneuriale. Une nouvelle génération de dirigeants qui a mis du sens et de la cohérence dans son ambition. « Après l’Essec, j’avais une vision techno de l’entreprise, admet volontiers Jean-Luc Petithuguenin qui après avoir travaillé pour de grands groupes industriels a repris une PME, Paprec, déterminante sur le marché du recyclage et de la valorisation des déchets. « Je pensais qu’un dirigeant doit cacher ses émotions. Mais je me suis rendu compte rapidement que ça, ce n’était pas moi ! J’ai pris conscience que j’avais une capacité à entraîner les gens. J’ai donc décidé d’exprimer ma vraie personnalité ».

De la quête de sens à l’engagement

Donner du sens, à son entreprise, à son rôle de dirigeant, à ses choix stratégiques : voilà au fond ce qui réunit ces entrepreneurs. Nourris d’un engagement personnel fort, ils l’impriment dans leur entreprise et distillent un certain état d’esprit. « Ainsi mes doutes sont devenus mes convictions », observe avec malice Florence Poivey qui dirige les 185 salariés d’Union Plastic, une entreprise de plasturgie médicale. « Mon ambition était que nous grandissions ensemble, note-t-elle en retraçant les grandes étapes de son parcours professionnel. Et ça a été passionnant à décliner. Vingt ans plus tard, je réalise que nous avons un outil de production de référence dans la profession, une situation économique qui fait envie et le capital le plus puissant de l’entreprise : les hommes et les femmes qui y travaillent ».
 
Une démarche qui n’est pas sans risque, parfois. À titre d’exemple, il a fallu toute sa force de conviction à Jean-Bernard Bonduelle pour convaincre ses partenaires, ses associés – et même les membres de sa famille, fondatrice de la société !- pour appréhender par anticipation le tournant « bio » de la fin des années 80. Être porteur d’une conviction écologique forte lui a permis au final d’anticiper sur une évolution irréversible en matière d’agriculture respectueuse de l’environnement.
 
Une force de conviction que l’on retrouve chez Pierre Choux, créateur du groupe ID’EES : cet ancien éducateur de rue a construit sa vie personnelle et professionnelle sur la base d’une seule donnée, l’entraide. Alors que rien dans sa formation ne l’y conduisait, il a fini par créer sa propre structure, formée d’une quarantaine d’établissements aujourd’hui déployés dans toute la France et employant près de 4 000 salariés, d’ex-« précaires » remis sur le chemin de l’emploi durable. Chef d’entreprise n’était sans doute pas une vocation, mais la volonté de donner un sens concret à ses aspirations l’a emporté.
 
« Faut-il que je change le capitalisme pour changer le monde ? Ou faut-il que j’apprenne moi-même les règles de la gestion d’entreprise pour mieux parvenir à mes fins ? » À l’instar de nombreux entrepreneurs de sa génération, Jean-Michel Germa s’est lui aussi longuement posé la question. Avant de faire le grand saut, de devenir « patron » et ainsi de donner réalité à son rêve. Le fondateur de la Compagnie du Vent confie : « Un seul risque m’importait alors, celui de me tromper, mais l’enthousiasme me protégeait contre la peur d’avoir tort. »  Sans regret.  
 
« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », écrivait Guillaume Ier d’Orange-Nassau. La volonté suffit. À méditer pour tous ceux que tenaille le rêve de se réaliser.










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