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Matthew B. Crawford : Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail


Jeudi 10 Octobre 2013



À auteur atypique, œuvre tout à fait atypique. L'auteur d'abord : Matthew b. Crawford, titulaire d'une thèse en philosophie politique, a rédigé ce livre d'après sa propre expérience professionnelle et son expérience de la reconversion. La question que pose ici l'auteur, ce n'est ni plus ni moins celle de notre capacité à donner un sens aux tâches que nous effectuons. L'œuvre, ensuite. Cet ouvrage illustre justement le changement radical de mentalité de l'auteur face aux contradictions et à l'absence de sens rencontré dans son premier métier. Ce profond changement l'amène à reconsidérer la « société du savoir », ainsi que la place du travail dans notre société, et plus spécifiquement du travail manuel, de son utilité et du sens qu'on peut en retirer.



Matthew B. Crawford : Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail

De la thèse en philosophie à la clef de 12

Crawford a un parcours bien particulier. C'est justement cette singularité qui nous permet aujourd'hui de profiter de cette production littéraire sans équivalent. Philosophe de formation et directeur d'un think-tank de Washington spécialisé en communication de crise, l'auteur décide, 5 mois à peine après avoir débuté à son nouveau poste, de le quitter pour se consacrer à sa passion : la mécanique. Il ouvre ainsi un garage à moto en Virginie. « J'ai toujours éprouvé un sentiment de créativité et de compétence beaucoup plus aigu dans l'exercice d'une tâche manuelle », finit-il par avouer. Après ce bref résumé de sa situation, l'auteur vers un développement plus idéologique, à valeur, quasiment, de manifeste. Mais un manifeste pour quoi ? Car l'auteur n'entend pas simplement partager l'expérience d'une reconversion heureuse. Il tient en réalité à déployer pleinement sa pensée sur notre rapport au travail et à l'argent.

Pour Crawford, la crise morale et sociale qui frappe aujourd'hui notre société est largement le fruit d'une crise de notre rapport au travail : celui-ci est devenu abstrait, sans prise avec le réel. Dans la production de biens et de services, par exemple, il existe un fossé entre le concepteur, ou réalisateur, et le consommateur, qui constitue pourtant la finalité de la production, le sens du travail. L'évolution de l'organisation a en outre renvoyé dos à dos le penser et le faire, deux tâches indistinctes à l'origine, la première commandant naturellement à la seconde. Ce qui a fini par donner la « conception » et l'« exécution » aujourd'hui. En cela, le travail souffre une double dévalorisation. D'abord, en tant que travail n'ayant pas d'impact sur le réel et donc n'offrant pas au travailleur l'occasion de se réaliser à travers son œuvre de manière générale, mais aussi, et surtout en dévalorisant de manière générale le travail manuel.

Réhabiliter l'artisanat

En comparant ses deux vies professionnelles, il cherche à montrer la différence éthique qui se déploie entre ces deux mondes. Mais le plus révélateur reste, pour l'américain, la manière dont les loisirs se sont substitués au travail en termes de réalisation personnelle : son propos est justement de rendre au travail son caractère de réalisation de la personnalité.

« La génération actuelle de révolutionnaires du management s'emploie à inculquer de force la flexibilité aux salariés et considère l'éthos artisanal comme un obstacle à éliminer. » En s'inspirant largement de la philosophie grecque, l'auteur souhaite rendre au travail son caractère émancipateur : une activité qui n'a de finalité qu'elle-même. Donc, l'œuvre de Crawford ne se limite pas à enfoncer une porte ouverte, à savoir une critique de la tertiarisation à outrance de l'économie, même s'il juge que « pour comprendre ce qu'est une manière d'être spécifiquement humaine, il faut comprendre l'interaction manuelle entre l'homme et le monde. » Son objectif est de montre en quoi la réalisation de soi par le travail à tous les types d'emploi, pourvu que ceux-ci rendent heureux les travailleurs par leur seul exercice, et pas seulement en tant qu'ils offrent un statut et une protection sociale.

Loin de se limiter à une simple critique, Crawford ne souhaite rien de plus, à travers cet ouvrage central, que de replacer le travail, quel qu'il soit, au centre de l'épanouissement personnel, tout en questionnant la société du « savoir », et sa propension à éloigner du réel, « à intégrer le technicien lui-même à un processus de remplacement automatisé de l'intelligence humaine individuelle ». Par extension, il analyse également l'impact de ce mode de pesée sur la non- valorisation du manuel ainsi que sur la formation des étudiants. Cette œuvre édifiante, véritable plaidoyer « en faveur d'une forme de travail dont on peut dire qu'elle a du sens parce qu'il s'agit d'un travail vraiment utile ».










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