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Sommes-nous tous manipulés?


La Rédaction
Vendredi 19 Juin 2015



L’information s’est propagée comme une trainée de poudre. A la une de Bild, le populaire magazine allemand, une étude scientifique vantait les mérites du chocolat afin d’accélérer la perte de poids. Une révélation, somme toute surprenante, qui a été reprise par de nombreux médias…avant d’être démolie par son instigateur. La thèse avait été volontairement manipulée afin de montrer que, le plus souvent, les études relayées n’ont pas de portée scientifique. Analyse de cette orchestration. Pour la bonne cause ?



Le grand détournement

Crédit: pdpics.com
Crédit: pdpics.com
Titre accrocheur, données scientifiques et analyse du directeur de l’institut du régime et de la santé. Tout y était. L’étude «  Maigrir grâce au chocolat » a été reprise par les médias d’une vingtaine de pays dont le Huffington Post et même la très sérieuse International Archives of Medicine. Le directeur du fameux Institute of Diet and Health, Johannes Bohannon, a notamment été invité sur de nombreux plateaux télévisés et a su générer une audience considérable. Un engouement qui a été de courte durée : le journaliste John Bohannon a révélé être à l’origine de cette enquête. En effet, son article « I Fooled Millions Into Thinking Chocolate Helps Weight Loss. Here's How  » explique la quasi supercherie.

Car il ne s’agit pas d’un simple canular. Si l’Institut a été monté de toutes pièces avec pour seule vitrine un site internet basique, le journaliste s’est entouré d’un médecin nutritionniste ainsi que d’un statisticien. Ces derniers ont mené une vraie étude clinique en faisant suivre trois régimes différents à leur panel de testeurs. Le groupe ayant un régime « chocolat » a effectivement perdu du poids plus rapidement que les deux autres groupes, comme il l’explique dans son article. Alors où est l’entourloupe ? Ces résultats scientifiques bien que tangibles, ne prouvent rien selon John Bahannon qui insiste sur la faiblesse de son échantillon représentatif. Son étude a été menée sur une quinzaine de personnes seulement, ce qui conduit à une faible pertinence statistique. Il s’agit pour lui de dénoncer l’utilisation fallacieuse d’études scientifiques, notamment par les groupes agro-alimentaires. « Le lien de causalité sur lequel reposent ces études est absurde, explique un journaliste scientifique. C’est comme si on étudiait des gens qui regardent Arte et d’autres TF1. On remarque que ceux qui sont devant Arte vivent plus longtemps alors on en conclue qu’Arte est un facteur d’allongement de la vie». C’est ce que revendiquent les journalistes Peter Onneken et Diana Löbl, auteurs et réalisateurs d’un documentaire décryptant le détournement de John Bahannon.
 

La société de l’intox ?

Au-delà de cette défiance, cette étude dit quelque chose de notre société. L’an passé, une fausse étude (publiée dans Science avant le démenti) arguant qu’il était possible de convaincre une personne hostile au mariage homosexuel en 22 minutes, a suscité de nombreux commentaires. Alors que révèle cette fascination presque irrationnelle pour des études scientifiques ? Pourquoi ce besoin d’une surenchère scientifique est-elle aussi présente?  « L’histoire des sciences est peuplée de fausses découvertes. Une première partie concerne des découvertes sincères et temporairement vraies, et l’autre des découvertes dont on connaissait le caractère frauduleux, mais que, pour des raisons politiques, pour des raisons d’égo, dans des conditions de pression psychologique, on a néanmoins voulu faire passer pour vraies » explique le sociologue, Michaël Dandrieux. Alors la « science » jouerait-elle les palliatifs dans un contexte que certains qualifient comme en perte de repères ? La question mérite d’être posée. « La science a un besoin d’achèvement. On la charge parfois jusqu’à l’embarras, et sans distinction, de notre fascination pour les choses claires, définies, et qui nous permettent de mieux vivre le doute essentiel qui est celui de vivre », précise Michaël Dandrieux.

Par ailleurs, la démarche de John Bahannon est édifiante quant à la vigilance des journalistes. Elle pointe du doigt les dangers des nouvelles technologies qui permettent le détournement (la manipulation) de vidéos, d’images, de textes. De plus, elle témoigne des périls de l’ère de l’hyperconnectivité et de l’hyperinformation. Avec Internet, tout va plus vite jusqu’à l’overdose. Elle rappelle les journalistes à toujours plus d’éthique et de conscience professionnelle face à la tyrannie du buzz et de l’audimat.
Dans ce contexte, il existe cependant des parades. L’essor du fact checking ou « vérification des faits » témoigne de l’ambivalence de notre rapport avec la technologie, Internet et l’information. Car la Toile permet autant de propager des rumeurs, de l’infox que de vérifier minutieusement chaque information dans ce temple 2.0 où le droit à l’oubli ne semble pas encore d’actualité. Ce pilier du journalisme est remis à l’ordre du jour, notamment dans la branche politique. Inspirés par des sites américains à la veille de l’élection présidentielle, le fact checking passe au crible les déclarations politiques. Faut-il y voir un nouveau mode de traitement journalistique voire une manière de renouveler une éthique qui est sans cesse questionnée ? Rappelons que les journalistes n’ont pas « bonne presse » et comptent parmi les professions dont les citoyens se méfient le plus.

Le fact checking serait-il alors un moyen d’apaiser cette défiance et de regagner la confiance ? Peut-être. Cette tendance met en exergue une certaine démocratisation de l’information, en ce qu’elle permet aux citoyens de prendre part à la vérification de tout, partout. Avec Google comme nouvelle Bible ? Les voix critiques s’élèvent et pose la question de notre rapport à la connaissance et à la vérité. Et si le véritable fond du problème est que notre société ne sait plus qui croire ?
 










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