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Quand le monde de la finance donne des leçons d'éthique : les critères de fit and proper


Mikael El Chami
Lundi 11 Avril 2016



Le récent scandale des « Panama Papers », nous renvoie à une question complexe : peut-on (doit-on) exiger des personnes qui occupent des postes importants, dans le privé comme dans le public, qu’elles fassent preuve d’éthique ? Le Premier ministre islandais aurait surement une opinion sur la question (1). Plus sérieusement, quels sont les secteurs où la vertu fait-elle office de loi ? Le monde des ONG ? L’économie participative ou l’agriculture bio ? Des critères de capacités et d’honorabilité, dit aussi critères de fit and proper, ont été définis dans un corpus de réformes appelées Bâle III et Solvabilité II, dédiés à… la banque et l’assurance. Revue de détails.



Les désillusions du capitalisme sauvage

La crise financière de 2007 a mis en évidence des failles importantes dans le système de gouvernance de la finance internationale. Issue d’une problématique locale, la crise des subprimes et l’explosion de la bulle immobilière aux USA ont mis en avant la problématique de l’inter-connectivité du système financier mondial en devenant une crise globale. Se propageant jusqu’en Europe, cette crise a mis en exergue des problématiques locales jusqu’alors occultées,  telles que la bulle immobilière espagnole ou les dérives financières grecques.
Pire encore, la place centrale de la responsabilité du facteur humain dans cette affaire. Le fait qu’une poignée de personnes aient pu anticiper cette crise, voir la précipiter, sans en avertir le monde et en cherchant à en tirer le plus grand profit pose une réelle question du point de vue de la responsabilisation et de la régulation de ce secteur. C’est l’envers du décor, révélé dans le film  "The big short"(2), où l’on confie le contrôle d’un secteur central de l’économie mondiale entre les mains de l’Homo œconomicus (3).
 

La gouvernance du risque

C’est en réaction à ces événements qu’a été produit un ensemble de réformes venant réglementer les secteurs de la banque et de l’assurance, respectivement appelées Bâle III et Solvabilité II. Ces réformes apportent des modifications et des renforcements significatifs aux règles déjà appliquées au secteur de la finance. On peut distinguer deux types de dispositif au sein de ces réformes : les réglementations d’ordre quantitatif et les réglementations d’ordre qualitatif. Si les réglementations d’ordre quantitatif, qui traitent principalement des ratios entre fond et obligation détenue par les établissements financiers (4), ne représentent qu’un renforcement de la réglementation déjà existante, les réglementations d’ordre qualitatif sont, elles, une réelle innovation dans la réglementation du marché financier. Ces réformes, présentes dans le texte de Bale III et dans le 2ème pilier de Solvabilité II, traitent de la question de la gouvernance du risque. Elles cherchent à réglementer les conditions dans lesquelles le risque est géré au sein des établissements financiers (5).

Elles apportent tout d’abord un ensemble de règles organisationnelles, notamment au travers de la création de fonctions clefs, qui doivent être indépendantes de l’organe de direction de l’organisme et au travers d’une limitation du cumul des mandats sociaux au sein de l’organisme. Dans la pratique cela a pour but de séparer les fonctions clefs en charge de détecter et prévenir le risque, tel que les actuaires ou la fonction gestion du risque, de la fonction de direction de l’entreprise. Cette séparation a pour objectif de favoriser une gestion prudente du risque, en dissociant ceux qui prennent les décisions de ceux qui doivent en évaluer les conséquences. Cette réforme va jusqu’à créer des canaux de communication spéciaux pour que les responsables des fonctions clefs puissent alerter directement les autorités de contrôle en cas de manquement important de la part de leurs organismes. Ces mesures s’accompagnent par une responsabilisation des personnes physiques, les responsables des fonctions clefs assumant la responsabilité en leur nom propre et non plus au nom d’une personne morale.

Le fit and proper, un concept anglo-saxon

C’est dans cet esprit de responsabilisation que sont introduites les questions de capacité et d’honorabilité, appelée aussi fit and proper. Cette notion de fit and proper est un concept ancré depuis plus de 20 ans a l’étranger, et qui illustre parfaitement la représentation de la gestion du risque présente dans le monde anglo-saxon. Elle revient sur l’idée d’une gestion prudente et responsable du risque. Selon la Financial Conduct Authority (FCA), ces critères de fit and proper ont pour objectifs “ to maintain confidence in the financial system, to promote public understanding of the financial system, to secure an appropriate degree of consumer protection, and to reduce financial crime ‘’ [maintenir la confiance dans le système financier, promouvoir la compréhension du public, d'assurer un niveau approprié de protection du consommateur et de réduire la criminalité financière] (6).

L’idée étant donc de rendre le monde de la finance meilleur.  Et ceci en s’assurant que les personnes qui occupent des fonctions stratégiques au sein des organismes financiers possèdent les capacités et l’honorabilité nécessaire pour assumer les responsabilités qui incombent à leurs fonctions. Il faut de plus s’assurer, encore selon le FCA, que le responsable ne sera pas une source de faiblesse pour l’organisme financier. Un responsable doit donc répondre à des exigences de capacité (le fit). A savoir qu’il possède l’expérience professionnelle nécessaire, qu’il a suivi les formations et a effectué les études adéquates et qu’il a montré au cours de son passé professionnel qu’il est apte à remplir sa fonction. Mais il doit aussi répondre aux exigences d’honorabilité (le proper). C’est-à-dire qu’il possède une bonne réputation, qu’il n’a pas été sujet à des condamnations judiciaires, pénales ou administratives. Mais aussi qu’il n’a pas été à la tête d’une entreprise qui a fait faillite et qu’il est dans une situation de régularité d’un point de vue financier. En d’autres termes, il est désormais demandé au responsable des organismes financiers de montrer patte blanche.

Une définition vague, mais des pratiques établies

Bien que ces notions soient très anciennes dans le monde anglo-saxon, on peut observer des variations d’un pays à l’autre dans la définition, le champ d’application, mais aussi dans le processus de vérification du respect des critères de fit and proper. C’est aux autorités de régulation nationales d’en faire l’interprétation. Ainsi la Monetary Authority of Singapor (MAS) (7) considère qu’un responsable doit respecter les exigences d’honorabilité mais aussi les organismes où il a été responsable par le passé. Elle étudiera donc la réputation des anciens employeurs du responsable. De même, si en Australie, la Australian Prudential Regulation Authority (APRA) (8) considère que c’est a l’organisme de définir les compétences qu’elle exige de ses responsables, au Royaume-Uni c’est la FCA qui établit une liste de compétences requises pour tel ou tel poste. A ces sujet,  le fournisseur de vérification d’antécédents, Square Facts (9), s’apprête à publier un livre blanc sur les pratiques du fit and proper à l’étranger. Il apparaît, en conclusion de cette étude, que si les modalités d’application du fit and proper peuvent varier fortement selon les pays, il existe toutefois un semblant de bonnes pratiques communes à tous.

L’introduction de ces critères dans la réglementation européenne du secteur financier implique donc une transposition en droit national. En France, pour le secteur de la banque comme celui de l’assurance, c’est à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) que revient la responsabilité de faire respecter ces critères. Pour ce faire, elle exige plusieurs pièces justificatives aux candidats (10). Notamment un CV détaillé et signé, une déclaration sur l’honneur de ne pas avoir été sujet à une liste de condamnation prédéfinie par l’ACPR et un questionnaire sur le passé professionnel du candidat. Mais il ne s’agit pas ici de croire sur parole les plus de 10 000 personnes concernées en France. Ces pièces justificatives sont des déclarations qui devront être vérifiées par l’organisme qui souhaite employer  le candidat puis par l’ACPR.

Des critères applicables au secteur public ?

Mais si l’on impose des exigences d’honorabilité aux dirigeants du secteur le plus retors, quand est-il de la sphère publique ? Bien sûr le domaine de la finance revêt une importance capitale pour la stabilité de l’économie mondiale, mais est-ce moins vrai pour les gouvernements et les responsables politiques ? À première vue, l’idée d’exiger des représentants du peuple une certaine éthique semble légitime. Ce n’est cependant pas une norme contraignante. En France, les exemples de politiciens confrontés à la justice, et qui continuent à exercer leurs fonctions d’élu, sont nombreux. L’absence de cadre réglementaire à ce sujet contraste avec l’évolution de la réglementation du secteur de la finance. Il est évident que toute personne a le droit d’être présumée innocente, et qu’en l’absence de condamnation il est difficile de justifier l’absence d’honorabilité. Mais la composante de la réputation reste un facteur important.
Si le scandale des Panama Papers (11) nous a livré une liste de coupables d’évasion fiscale, celle-ci est loin d’être exhaustive. Serait-ce seulement la partie immergée de l’iceberg ? Il paraît qu’il n’y a jamais de fumée sans feu.
 
Quand le monde de la finance donne des leçons d'éthique : les critères de fit and proper

(1) http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/05/panama-papers-le-premier-ministre-islandais-menace-de-dissoudre-le-parlement_4896355_4890278.html
(2)  http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=227900.html
(3) http://www.franceculture.fr/emissions/les-carnets-de-leconomie/daniel-cohen-14-quest-ce-que-lhomo-economicus
(4) Un cadre post CRD4 plus exigeant pour l’organe de direction – ASFFOR – Jean-Claude HUYSSEN DAAR – Conférence  du 10/02/2015
(5) La conférence de l’ACP – Solvabilité II : pilier 2 – ACPR – conférence du 27/04/2011
(6) The Fit and Proper test for Approved Persons – Financial Conduct Authority – Avril  2016
(7) GUIDELINES ON FIT AND PROPER CRITERIA – GUIDELINE NO: FSG-G01 – Monetary Authority of Singapor – 17/01/12
(8) Prudential Standard CPS 520 – Fit and proper – Australian Prudential Regulation Authority – Aout 2014
(9)  http://www.square-facts.com
(10) Formulaire de nomination ou de renouvellement du mandat d’un membre d’un organe social – Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution – 2015
(11)  http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/04/evasion-fiscale-si-vous-n-avez-rien-suivi-aux-panama-papers_4895259_4890278.html
 




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