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Serge Moscovici: de la déviance à l'innovation minoritaire


Mardi 4 Janvier 2022



Comment une minorité peut-elle exercer une influence sociale sur un groupe ou sur une majorité, alors qu'elle ne jouit pas d'une autorité suffisante et de dispose pas des mêmes ressources informationnelles et matérielles que les autres ? Telle est la question à laquelle cet article tente de répondre à travers une analyse moscovicienne des processus d'innovation et de changement au sein d'un groupe.



Serge Moscovici: de la déviance à l'innovation minoritaire

La conception traditionnelle de l'influence sociale ou la logique de conformisation

En règle générale, les individus au sein d'un groupe vont faire le choix de se conformer aux règles de la majorité, pour éviter d'être jugé et marginalisé sur le plan social. Ils rejettent l'idée de se voir associés à un individu ou à une minorité déviante, qui pourrait le mettre à l'écart en raison de ses différences supposées, considérées comme contraires aux normes du groupe considéré. Les individus souhaitent effet éviter que leur comportement dissonant puisse aboutir à un processus de discrimination et de stigmatisation (évaluation négative) pouvant conduire à leur exclusion sociale.

Dans la  vision classique, l'influence sociale est en effet envisagée comme un processus de conformisation, où l'individu réfractaire à certaines logiques du groupe majoritaire se doit de modifier son comportement et ses pratiques, afin d'être en harmonie avec le groupe auquel il appartient.

D'un point de vue théorique, la conformisation des individus au groupe s'explique par le besoin de tout individu de comparer leurs jugements aux autres membres du groupe (théorie de la comparaison sociale)dans une logique de partage d'informations (influence informationnelle). A côté de ces mécanismes d'influence, la conformisation serait également liée à la pression sociale exercée sur l'individu qui se sentirait obligé d'agir dans le sens du groupe sous peine de sanctions.

Selon cette conception, l'influence sociale s'exerce dans le cadre de relations de dépendance entre une minorité et une majorité ayant le pouvoir d'orienter et de contrôler les attitudes des différents membres du groupe (contrôle social). Les individus potentiellement en décalage avec le groupe auront donc tendance à fuir les tensions (conflits) et rechercher le consensus. La majorité compte précisément sur la gêne générée pour engendrer la conformité.

Dès lors, selon cette approche, toute position qui continuerait à être minoritaire et contraire aux positions du groupe, doit être interprétée comme une attitude déviante et négative par rapport au code social dominant, devant donner lieu à une hostilité publique.

Serge Moscovici et l'influence minoritaire

Alors que le changement était initialement construit autour de l'influence de la majorité et de son contrôle social, Serge Moscovici va montrer de quelle façon la minorité peut également agir ("minorité active ") dans le cadre de relations dynamiques et symétriques.

Ainsi, dans la perspective Moscovicienne, la minorité doit également être envisagée comme pouvant disposer d'une contre-norme et chercher à la faire valoir au sein du groupe, de façon visible et consistante.

Selon cette analyse, les rapports entre majorité et minorité vont donc évoluer, et passer d'une situation de conformisation (logique de soumission) à une situation potentiellement conflictuelle (conflit socio-cognitif) avec la présence de points de vue divergents et le volonté des différentes parties de faire valoir leurs normes et contre-normes.

La notion d'influence minoritaire crée donc de nouveaux échanges et comportements au sein du groupe. Sa force dépend avant tout du contexte et du style comportemental adopté par la minorité. Ainsi, un comportement ferme de la part de la minorité peut instaurer le doute chez les autres membres du groupe et attirer l'attention d'un point de vue alternatif qu'il s'agit de prendre en compte. Pour S. Moscovici, la minorité va ainsi contraindre les membres de la majorité à se lancer dans un processus de validation dans le sens, où elle oblige la majorité à analyser le contenu de son message de manière approfondie.
 

Pour conclure

Sous l'impulsion des travaux de S. Moscovici et de ses collègues, la recherche en psychologie sociale a été amenée à reconsidérer sa vision de l'influence sociale, pour mettre en avant d'autres mécanismes d'influence, en particulier l'influence minoritaire. En effet, Serge Moscovici a su remettre en question la relation systématique entre influence sociale et conformité. Il a permis de reposer la question de la normalité et de l'anormalité, en abordant différemment le concept de déviance, à travers l'étude des minorités actives.


Olivier Meier
Professeur des Universités
Université Paris Est Sup - LIPHA
Observatoire ASAP - Chaire Innovation Publique (*)










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