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Danièle Kergoat : femme et sociologue


Jeudi 17 Janvier 2013



Sociologue et chercheuse française émérite, Danièle Kergoat a su contribuer à l'élévation de la question du genre en tant que sujet d'étude. Paru en 2012, Se battre, disent-elles…(1) fait la rétrospective de la sociologie rigoureuse de cette scientifique dont le terrain de prédilection est le lieu de travail. Il s'agit là d'une occasion de découvrir au fil d'une collection d'articles, le projet de recherche d'une sociologue engagée, mais sociologue avant tout.



Danièle Kergoat : femme et sociologue
L'itinéraire personnel de Danièle Kergoat l'a amenée à se pencher sur la condition des femmes au travail. « Ouvrière n'est pas le féminin d'ouvrier », écrit-elle de façon assez emblématique. Mais à travers cet objet de recherche, c'est un champ d'études plus vaste dont Danièle Kergoat s'est fait une spécialité : celui des mécanismes de domination – de genre, raciale, et même territoriale –. Pour présenter son travail original en la matière, Se battre, disent-elles… a été divisé en trois parties : la première prend pour thèmes la domination, la seconde, le travail et la troisième, l'émancipation.
 
La première partie pose les cadres d'analyse du phénomène de domination. Des articles théoriques y côtoient des enquêtes de terrain. Celle réalisée au sein de l'usine Thomson à Laval constitue d'ailleurs un temps fort du premier tiers de l'ouvrage. Cette étude permet en effet à Danièle Kergoat de montrer en quoi il existe une complémentarité entre la vie professionnelle et leur vie domestique des femmes. L'auteure illustre ainsi en quoi cette complémentarité produit une domination et une oppression des travailleuses entièrement différente de celle subie par leurs homologues masculins.
 
En abordant spécifiquement la thématique du travail, Danièle Kergoat explore également l'ambiguïté des rapports des femmes au travail. Prenant pour exemple le cas du temps partiel, l'auteure montre la diversité des façons dont est considéré ce type de contrat par les salariées qui y sont soumises. Si le temps partiel est considéré comme une entrave par certaines, et comme une opportunité par d'autres, ce type d'emploi ne permet cependant pas aux travailleuses de revendiquer une identité dont la composition serait équilibrée entre leur vie professionnelle avec leur vie familiale. Ces femmes sont avant tout des mères de famille.
 
La dernière sélection d'articles rend compte des conclusions de Danièle Kergoat au sujet des mécanismes de résistances à la domination. L'auteur fait la corrélation entre cette question et l'existence d'une identité collective. Le sentiment collectif constitue en effet l'une des principales barrières à la domination des individus. Or Danièle Kergoat fait le constat que les ouvrières éprouvent des difficultés à se concevoir en sujet collectif. L'auteur explique en effet que ces difficultés sont traduites par un syllogisme invoqué de façon récurrente par les travailleuses avec qui elle s'est entretenue : l'ouvrière intériorise bien souvent les idées sexistes qui pèsent sur elle, mais ne s'y identifient pas elle-même. Sa représentation des femmes en tant que groupe ne correspond donc pas à celle qu'elle a d'elle-même, et ce mécanisme constitue un frein puissant à l'identification collective et une entrave à la résistance face à la domination.
 
Remise en perspective des travaux de Danièle Kergoat, Se battre, disent-elles… est un ouvrage complexe qui fait état de différents phénomènes. Les spécificités de la condition de la femme dans le milieu professionnel y sont ainsi abordées. Mais la portée des recherches de Danièle Kergoat dépasse la simple étude de genre en sens qu'elle met en exergue le fonctionnement d'un mécanisme de domination. Il serait d'ailleurs aisé d'en transposer l'étude à d'autres contextes que celui de la femme au travail. C'est en ce sens que l'oeuvre de Danièle Kergoat s'impose comme une contribution significative à la cause des femmes, mais aussi de la sociologie tout entière.



(1)KERGOAT, D., Se battre, disent-elles…, La Dispute, Paris, 2012, 355pp..










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